Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur. Aujourd’hui elle prend la parole au sujet de la situation des personnes sans-abris.
Chaque année, avec le retour de l’hiver, la question de l’itinérance revient sur le devant de la scène. Un enjeu complexe qui nécessiterait une prise en charge globale et systémique, plutôt que quelques rustines pour se donner bonne conscience.
Francopresse – Julie Gillet
On les appelle sans-abris, sans domicile fixe, itinérant·es, parfois même vagabond·es ou clochard·es. Avec le retour des températures hivernales, on se souvient de leur existence. On les regarde avec pitié, parfois avec mépris.
Certain·es voisin·es leur viennent en aide, d’autres les craignent et proposent de créer des patrouilles de vigilance pour lutter contre les «nuisances» engendrées par ces personnes errant le soir dans leurs rues bien rangées.
Les visages de l’itinérance sont nombreux, pluriels. Les parcours sont multiples, quoique parfois similaires aussi : une perte d’emploi, des violences conjugales, un loyer devenu impossible à payer. Des problèmes de santé qui finissent en dépendance aux opioïdes, des fragilités psychologiques qui n’ont pas été prises en charge, des dettes insurmontables. Un divorce, un décès, un permis de travail expiré.
Leurs histoires sont variées et l’enjeu est complexe, ce qui ne plait pas toujours aux médias, qui se régalent de raccourcis faciles et de titres tapageurs – il faut bien vendre ces journaux que plus personne ne lit, et la peur fait vendre plus que l’empathie. On donne le micro à ceux qui ont un avis plutôt qu’à ceux qui ont un vécu.
Des sparadraps bien trop petits
Parfois, nos édiles politiques trouvent quelques dollars au fond d’un tiroir et ouvrent à grand bruit un nouveau refuge pour les personnes en situation d’itinérance ou un nouveau centre de dons. Des solutions qui ne résolvent rien, mais qui cachent un peu mieux le problème, qui nous permettent de mieux dormir la nuit maintenant que la tente dans le parc d’à côté a disparu.
«Or, les services d’aide aux personnes sans abri ne sont que des morceaux de sparadraps trop petits qu’on essaye de poser sur des plaies infectées.»
Tant que nous ne soignerons pas les causes profondes de la blessure, elle ne cessera de se rouvrir.
Et ses causes sont connues : une économie néolibérale qui privilégie le profit à l’humain. Un système de santé défaillant. Des filets sociaux insuffisants. Des injustices profondes dans le monde du travail. Du racisme systémique.
Des discriminations partout, tout le temps, sous le regard complice de gouvernements défaillants, désinvestis de leur mission première d’aider les gens à vivre ensemble.
Renforcer l’accès au logement
La seule manière de lutter contre l’itinérance, c’est de la prendre en charge de manière globale et systémique. C’est de lutter contre la pauvreté et de renforcer l’accès au logement.
J’ai toujours l’impression d’enfoncer une porte ouverte quand je le dis — ce qui est ironique quand on parle de logement, je vous l’accorde — mais le sans-abrisme résulte toujours de l’impossibilité de conserver ou de retrouver un logement en temps utile.
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Quand on voit la crise immobilière que traverse aujourd’hui le Canada, cela n’augure malheureusement rien de bon. Dans certaines villes, comme Vancouver ou Toronto, les prix des logements ont atteint de nouveaux records effarants. Au Nouveau-Brunswick, province réputée parmi les plus abordables du pays, le prix moyen des maisons a grimpé de 30 % entre 2020 et 2021.
Et si accéder à la propriété n’est plus une option pour de nombreuses personnes, être locataire peut également s’avérer de plus en plus compliqué. Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, par exemple, ont connu des hausses de loyer sans précédent depuis le début de la pandémie, certain·es locataires se voyant imposer des augmentations de loyer de plus de 50 % sans possibilité de recours.
«Une situation difficile pour n’importe qui, mais dramatique pour les personnes les plus fragiles comme les familles monoparentales, les personnes sans emploi, âgées ou porteuses d’un handicap, ou encore les immigrant·es à qui l’on a fait miroiter une vie meilleure.»
Alors oui, peut-être, cela nous rend mal à l’aise de voir une tente dans le parc d’à côté. On ne se sent pas en sécurité de marcher seul·e la nuit. Ça nous dérange, la saleté et le bruit.
Mais combien de corps froids découverts au petit matin cela prendra-t-il avant que l’on se souvienne de qui sont les vrai·es responsables du problème? Combien d’histoires tragiques avant que l’on ne réagisse?