Google a négocié une exemption de cinq ans à la Loi sur les nouvelles en ligne (anciennement projet de loi C-18), en échange de laquelle le géant du numérique remettra 100 millions de dollars par année aux médias canadiens.
Pour distribuer l’argent, l’entreprise a choisi un collectif composé de médias indépendants et de plus petite taille.
Si d’autres petits médias – incluant ceux de langues officielles en situation minoritaire – se réjouissent de ce choix, ils ne considèrent pas la bataille gagnée.
Un échec pour certains
«Plusieurs se vantaient de C-18 en disant que c’est extraordinaire et que c’est une bonne chose, mais en fait, je ne vois pas en quoi c’est vraiment une bonne chose», s’inquiète la rédactrice en chef et fondatrice de La Converse, Lela Savic.
Pour ce média indépendant, l’entente conclue avec Google risque d’engendrer une perte de revenus, car le géant a indiqué qu’il cessera toutes ses autres activités de financement des médias canadiens.
«Initiatives Google Actualités (ING), puis avant on avait le Facebook Journalism Project, qui venaient avec des contributions financières pour les médias», donne-t-elle en exemple.
Sur son blogue, Google confirme que les «le programme Google News Showcase (expérience de l’information en ligne et notre programme de licence pour les organismes de presse) cessera de fonctionner au Canada plus tard dans l’année.»
«Nous maintiendrons certains programmes d’Initiatives Google Actualités au Canada. […] Cependant, notre contribution monétaire au Canada étant désormais rationalisée dans le nouveau modèle collectif unique, ces investissements seront de nature non monétaire.»
En d’autres termes, finie l’époque des projets spéciaux de Google pour les médias du Canada. Les seules sommes de Google dont pourront profiter des médias comme La Converse seront celles provenant des 100 millions.
Et même là, rien n’est garanti. Selon la Loi sur les nouvelles en ligne, pour être admissible à une part du gâteau, il faut employer au moins deux journalistes à temps plein. Un luxe que plusieurs petits médias ne peuvent pas se payer, rappelle Lela Savic. «Certains fonctionnent juste avec des pigistes.»
Des médias inadmissibles
Parmi les 98 médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire, 96 % ne répondent pas aux critères d’admissibilité, estime le Consortium des médias communautaires de langues officielles.
Ariane Joazard-Bélizaire, porte-parole du Cabinet de la ministre du Patrimoine canadien, indique dans un courriel que les employés embauchés dans le cadre de l’Initiative de journalisme local (IJL) peuvent être pris en compte.
Avec l’IJL, la proportion de médias communautaires inadmissibles passe de 96 % à 85 %.
Selon un responsable du ministère du Patrimoine canadien, les petits médias imprimés et numériques peuvent s’attendre à recevoir environ 17 000 dollars par journaliste employé.
«Ça ne paie pas un salaire», fait remarquer Lela Savic. Sans prétendre que les projets tels que l’ING finançaient toujours des salaires entiers, elle rapporte que c’étaient souvent «des montants assez substantiels» : «Des 20 000, 50 000, 60 000, 150 000 dollars américains; ça fait quand même 200 000 dollars canadiens.»
«Si Google ne finance plus ça, c’est vrai que techniquement, on perd un bailleur de fonds au Canada. Il n’y a pas d’autre moyen de le dire. […] Ma question, c’est maintenant que cette loi a été créée et adoptée, qui va pallier cette perte?», s’interroge-t-elle.
Les limites de l’argent
Le rédacteur en chef du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Jean-Philippe Giroux, est heureux de constater que Google versera des fonds, mais rappelle que l’argent ne règle pas tous les problèmes.
«On peut financer davantage les petits médias, leur donner des dizaines ou des centaines de milliers de dollars [pour embaucher] des journalistes. Mais il y a toujours la question de l’engagement communautaire», prévient-il.
Propositions du public par courriel, engagement des lecteurs; ce sont parmi les principaux défis auxquels fait face son journal.
L’éditeur-directeur général de l’Acadie Nouvelle, Francis Sonier, ajoute le recrutement de journalistes et la distribution du papier aux défis qui sont oubliés par la nouvelle Loi sur les nouvelles en ligne. Il doute que le gouvernement puisse aider la distribution, mais demande plus de souplesse à l’égard de l’emploi.
«C’est [une question] d’immigration d’une part, dit-il. [Avec] Jeunesse Canada au travail ou les emplois d’été, on a de bonnes candidatures, mais on ne peut pas les récupérer ou les retenir parce qu’ils n’ont pas la citoyenneté canadienne.»
En attendant des résultats, «on fait autrement», dit-il.
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Meta ne bronche pas
Si Google coopère, Meta bloque toujours les nouvelles sur ses plateformes. Meta a aussi arrêté ses activités commerciales avec les médias canadiens.
Pour La Converse, c’est un frein à l’engagement avec les lecteurs. «On doit doublement investir dans, par exemple, un responsable markéting pour se faire voir ailleurs. Mais [ça], ça coute de l’argent», explique Lela Savic.
«Au Courrier de la Nouvelle-Écosse, on avait mis beaucoup d’efforts, de temps et de travail dans la création de contenus pour les plateformes Instagram et Facebook, raconte Jean-Philippe Giroux. […] Maintenant c’est un peu plus difficile de savoir l’impact qu’on a dans la communauté.»
L’Acadie Nouvelle, de son côté, a vu une réduction du trafic sur son site. «Ça a duré environ huit mois. Là, on est dans les mêmes chiffres de visites qu’on avait il y a un an à peu près», assure Francis Sonier.
«On a rétabli le contact avec les lecteurs autrement, avec une application mobile, davantage d’infolettres et des abonnements.»
Selon le sénateur conservateur Leo Housakos, le gouvernement avait été avisé de ce possible impact : «On a toujours dit que tu ne peux pas forcer une entreprise comme Meta de continuer d’aider l’industrie médiatique […]. On vit dans une société libre, puis les gens peuvent décider quoi faire avec leur propre entreprise.»
«Ça fait mal à l’industrie médiatique, ça fait mal aux journalistes, particulièrement les médias écrits [qui ont désormais] perdu une capacité de promouvoir puis d’avoir une cote d’écoute [maximale]», poursuit-il.