Traductrice, journaliste ou scénariste, Gisèle Villeneuve possède un curriculum vitae des plus prolifiques. Mais c’est avant tout une écrivaine bilingue ou plutôt «bi-langue», comme elle prend à cœur de le préciser.
Native de Montréal, elle manie aussi bien la langue de Molière que celle de Shakespeare. «L’industrie de la littérature est encore divisée entre l’anglais et le français, ce que je trouve aberrant, considérant que le Canada tend à être un pays bilingue», s’indigne-t-elle. L’auteure persiste, «alors je continue d’écrire dans les deux langues, parce que j’aime les deux langues».
Établie à Calgary depuis de nombreuses années, l’écrivaine a été énormément influencée par son environnement. La grandeur des Rocheuses, la lumière, la nature, ces éléments ont permis à cette Québécoise de développer sa patte d’artiste en toute liberté. Elle révèle, «quand j’étais à Montréal, je ne me sentais pas chez moi, mais c’est vraiment ici que j’ai développé ma voix d’écrivaine qui me permet d’écrire comme je le veux».
L’humanité narrée en 29 «fragments»
C’est grâce à cette émancipation que son nouvel essai littéraire a pu voir le jour. Violence, famine, écologie, sciences, d’innombrables sujets sont évoqués en 29 chapitres. Ces thèmes sonnaient comme une évidence pour Gisèle Villeneuve, mais des dizaines d’autres auraient pu être choisis.
«Nous faisons différentes choses : nous lisons, nous voyageons, nous mangeons, nous inventons, nous faisons la guerre… Nous sommes impliqués dans tellement de choses différentes, mais c’est ça aussi l’humanité», énumère la femme de lettres.
À travers plusieurs grands primates, tels que l’Homo erectus, le plus connu, ou encore l’Homo naledi, venant d’Afrique australe, cette artiste porte un regard sur l’évolution de notre espèce. Pourtant, sommes-nous vraiment développés? Tel est le paradoxe de l’Homo sapiens.
Depuis des milliers d’années, l’être humain fait des progrès exceptionnels du point de vue scientifique, technologique ou médical. Et malgré tout, nous continuons à répéter sans cesse les mêmes erreurs. «Ce que je trouve incroyable, c’est ce jeu de balance entre notre génie et notre stupidité», s’ébahit l’auteure. Elle analyse, «ce qui fait que d’une certaine façon, oui, nous avons avancé, mais nous semblons reculer».
Un essai qui semble intemporel
«Nous croyons faire des progrès vers la coopération, l’entente, la paix, la connaissance; nous retombons constamment dans nos habitudes primaires d’égoïsme, d’intolérance, de belligérance et d’ignorance.» Et tu seras happé par l’horizon, fragment no 4, page 58.
Lorsque l’écrivaine a commencé à rédiger son œuvre au cours de l’été 2019, elle ne s’imaginait pas tous les événements qui suivraient. Pourtant, ce livre résonne avec notre actualité.
C’est pour cette raison que Gisèle aime revenir dans le passé, «je veux montrer qu’il se passait des choses et maintenant, nous sommes dans le présent et il se passe exactement ces mêmes choses». Dès l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, de nombreux conflits armés civils ou militaires ont éclaté. Des drames encore observés aujourd’hui en Ukraine, mais aussi au Yémen, en Éthiopie, en Syrie et en Haïti…
L’Homme est-il ainsi condamné à répéter les mêmes erreurs? Une conclusion à laquelle la littéraire est arrivée, «autrefois, on se battait avec des bâtons, maintenant c’est le nucléaire, alors c’est la même mentalité, mais avec des armes absolument épouvantables».
Rendre hommage à la postérité
La baby-boomer se remémore les révoltes auxquelles sa génération, les personnes nées entre 1946 et 1965, a participé. «Ils ont fait toutes sortes de manifestations contre toutes sortes de guerres, contre toutes sortes d’iniquités sociales et maintenant, on dirait qu’une fois rendus adultes, ils sont devenus de super-consommateurs ou des chefs d’industries qui continuent de polluer.»
Un cercle vicieux qui peine à se briser. L’autrice s’interroge, «où était cette implication sociale de leur jeunesse qui semble s’être évaporée une fois qu’ils sont devenus adultes?»
C’est pour cette raison qu’elle dédie son livre à tous les enfants du monde, «parce qu’ils sont les héritiers de ce que nous sommes en train de construire et de déconstruire pour eux». Ainsi, l’écrivaine ouvre son livre avec un réquisitoire pour ces futures grandes personnes. Un questionnement demeure, «une fois qu’ils seront devenus adultes, vont-ils tomber dans le même piège?»
La place de l’artiste dans notre société
Bien que Gisèle Villeneuve établit de nombreux faits sur notre société, elle veut rester claire : elle n’est pas la conscience du peuple. Un syndrome dont l’auteure souhaite se souvenir dans son essai littéraire.
Elle dédie d’ailleurs un chapitre sur «l’écrivain en dissidence», dont l’inspiration lui est venue lorsqu’elle organisait ses bouteilles d’herbes et épices dans la cuisine. «Pendant ce travail très physique finalement, je me faisais ces réflexions sur l’appropriation : qu’est-ce que l’écrivain a le droit, ou non, de s’approprier?», questionne l’érudite.
Le 18e fragment de son essai aborde justement la place des écrivains, souvent vus comme des marginaux, dans la société. Qu’est-ce que celui-ci a le droit de s’approprier ou de ne pas s’approprier? Pour Gisèle Villeneuve, depuis toujours, on lui donne un rôle de «messie ou de porte-parole qui ne reflète absolument pas sa façon d’écrire».
C’est pour cette raison qu’elle préfère séparer le travail d’écriture à l’industrie du livre. À choisir, l’artiste opte pour «jouer avec les textes» plutôt que de «cogner aux portes des maisons d’édition». «C’est là où je me sens le plus satisfaite», sourit-elle.
Et cette passion continue à la dévorer puisque Gisèle Villeneuve est en pleine écriture de deux nouveaux manuscrits. En attendant de pouvoir profiter de ces lectures, Et tu seras happé par l’horizon nous emmène en excursion dans l’histoire de l’humanité.