À l’occasion du Forum virtuel 2021 de la Fédération culturelle canadienne-française, la journaliste culturelle, autrice et réalisatrice québécoise Émilie Perreault a mis de l’avant l’idée de considérer l’art comme un élément essentiel à la santé mentale, voire de parler de «santé culturelle». Que ce soit au niveau scolaire, sociétal, politique ou économique, elle a plaidé en faveur d’une réflexion accrue sur la place de l’art dans la société postpandémie.
Francopresse – Ericka Muzzo
Émilie Perreault est l’autrice des essais Faire œuvre utile : quand l’art répare des vies (Éditions Cardinal, 2017) — dont est issue une série documentaire — et Service essentiel : comment prendre soin de sa santé culturelle (Éditions Cardinal, 2021) – dont est issu un balado.
À l’occasion de son Forum virtuel 2021, qui avait pour thème «Cultiver l’art en tant que service essentiel», la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) l’a invitée à livrer sa conférence «Faire œuvre utile : quand l’art répare des vies».
Questionnée par Francopresse à savoir ce qui a motivé le choix d’une conférencière québécoise, alors que l’organisme se veut la «voix politique des arts et de la culture de la francophonie canadienne et acadienne» et le «porte-parole de ses 22 membres provinciaux, territoriaux et nationaux» — dont aucun au Québec —, la directrice de la FCCF, Marie-Christine Morin, explique que le second essai de la conférencière «est venu nous chercher dans ses thématiques, et je pense que Mme Perreault a aussi intégré ce concept-là [de l’art comme service essentiel] à plein de sphères dans lesquelles la FCCF est active aussi, comme l’éducation, la politique, l’économie».
«Je pense que les propos de Mme Perreault ont résonné en francophonie canadienne […] Je pense que ce sont des thèmes un peu universels qui ont touché des réalités de terrain, soit des artistes ou des travailleurs culturels qu’on a en francophonie canadienne», ajoute la directrice de la FCCF en précisant que l’animation et les questions posées à la fin de la conférence «étaient de la francophonie canadienne».
Un «esprit sain» par la culture
«L’art, ça nous fait du bien, ça peut nous réparer à certains moments. Dans nos vies, quand il n’y a rien d’autre et qu’on a besoin d’une bouée, souvent c’est l’art qui va arriver pour nous aider. Ça va nous tomber dessus un peu par hasard, il y a une synchronicité», a lancé la conférencière.
Journaliste culturelle depuis une décennie, Émilie Perreault a voulu creuser cette piste et voir s’il était possible de démontrer que les arts et la culture sont des éléments essentiels à une bonne santé physique et mentale. C’est ainsi qu’est né son deuxième essai.
«Dans cet essai-là, c’est le pourquoi et le comment ça fonctionne […] Je pense que c’est important de venir chercher des données qui viennent prouver ce qu’on ressent déjà [que l’art nous fait du bien] et je me suis rendue compte que beaucoup d’études sont disponibles», notamment un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) paru en 2019 sous le titre Quelles sont les bases factuelles sur le rôle des arts dans l’amélioration de la santé et du bien-être? Une étude exploratoire.
«On connait tous l’expression “Avoir un esprit sain dans un corps sain” […] Mais comment est-ce qu’on garde un esprit sain? Comment est-ce qu’on le cultive? Je pense que c’est beaucoup à travers notre consommation de culture», explique encore Émilie Perreault.
«Le rôle de l’artiste, c’est de mettre sa propre sensibilité au service d’une histoire, puis après quand on l’écoute ça nous permet de vivre en accéléré, d’atteindre certaines d’émotions et de nous dire qu’on n’est pas seuls […] Ça fait du bien d’être validé, de savoir qu’il y a un artiste qui a mis toute son intelligence, toute son émotivité à notre service», ajoute la journaliste culturelle.
Santé culturelle et pacification sociale
À ses yeux, l’une des premières étapes pour démocratiser la culture est qu’elle fasse davantage partie du quotidien, c’est de «sortir la culture du ministère de la Culture […] qu’on parle d’économie, d’éducation, de famille, de politique parce que cette question-là [de santé culturelle] concerne tout le monde et a des impacts bénéfiques pour tout le monde».
L’autrice estime qu’à partir du moment où on prend véritablement conscience des bénéfices de l’art, on peut décider «de lui faire de la place tous les jours, d’avoir de saines habitudes de vie culturelle et se dire que la lecture, ce n’est pas juste pendant les vacances […] C’est vraiment de changer la façon dont on perçoit la culture dans notre quotidien».
Émilie Perreault se fie à la définition de l’autrice et psychologue française Sophie Marinopoulos pour le terme «santé culturelle» : «La santé culturelle ouvre sur la connaissance de soi et la reconnaissance des autres. Elle permet à chaque sujet de construire son identité et de partager avec d’autres que soi. La santé culturelle est porteuse d’apaisement personnel et de pacification sociale», cite-t-elle.
«Je trouve ça merveilleux comme idée […] La pacification sociale, c’est quand on se retrouve au théâtre, avec tout le monde, et qu’on vit ce moment-là ensemble et qu’on est en communion d’une certaine façon à la fin […] Mon plaidoyer ultime, c’est de dire : “J’en ai besoin parce que j’ai besoin de quelque chose de plus grand, d’une quête de sens dans ma vie.” La pacification sociale, pour moi, ça passe beaucoup par là», ajoute Émilie Perreault.
Suivre l’exemple de la Corée du Sud
Dans les dernières minutes de la conférence, quatre francophones de l’Ontario, l’Alberta, la Nouvelle-Écosse et le Québec ont chacun adressé une question à la conférencière.
L’enseignant Alain Richard a mentionné que l’art lui permet de faire mieux connaissance avec ses élèves et qu’il a établi une collaboration avec l’artiste de Sudbury Pandora Topp pour les encourager à exprimer leur créativité. Il a demandé à la conférencière comment son propre cheminement scolaire a influencé sa relation aux arts et ce qu’elle aurait voulu changer avec le recul.
Outre certains enseignants marquants, Émilie Perreault a mis en lumière l’importance qu’a eue la lecture dans sa vie. Elle a également souligné l’importance pour les jeunes du primaire et du secondaire d’assister à des spectacles dans des centres culturels «parce que c’est souvent la première fois que quelqu’un nous amène voir un spectacle dans de vraies conditions maximales».
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«Je pense que dans le cursus général, on devrait faire plus de place aux arts, pas juste réserver ça aux gens qui ont choisi l’option artistique», défend-elle également.
D’autres idées sont ressorties des questions des participants, dont celle d’une «grève des arts» pour faire prendre conscience à la société de leur importance.
La conférencière a également encouragé à suivre l’exemple de la Corée du Sud, qui verse 500 millions $ chaque année à son ministère de la Culture pour stimuler l’exportation de produits culturels.
«On a vu à quel point ç’a un impact : ils ont gagné l’Oscar du meilleur film pour un film en coréen [Parasite, qui a également remporté trois autres Oscars, NDLR]. Ce n’est pas tombé du ciel […] il y a des mesures qui peuvent être mises en place par le gouvernement – et pas pour faire la charité, ça va bien le secteur culturel en Corée du Sud! C’est beaucoup de retombées économiques», précise Émilie Perreault en ajoutant qu’il faut de la patience pour que les mesures portent fruit.
Elle assure avoir «beaucoup d’espoir» pour la place des arts et de la culture postpandémie et espère voir «des réflexions en profondeur» sur le sujet de la «santé culturelle».