Dre Julie L. Hildebrand exerce en médecine familiale à Edmonton. Bilingue, elle est très heureuse de pouvoir répondre aux besoins de la francophonie plurielle de la capitale provinciale. Spécialiste du diabète, des dépendances et de l’utilisation du cannabis thérapeutique, elle privilégie la prévention et l’éducation.
L’anxiété, en tant que telle, constitue un système de défense que l’humain utilise depuis des lunes pour se défendre contre un danger imminent. Elle est donc favorable à sa survie. La réaction physique et psychique qui s’ensuit découle d’une réponse adrénergique qui vous prépare au combat.
Fort heureusement, ce sentiment, bien que désagréable, est passager. Le tout retourne généralement à la normale en quelques minutes lorsque la rationalité prend le dessus.
Montons d’un cran
Le trouble anxieux, pour sa part, est une angoisse si forte que vous n’arrivez plus à avancer. Cette angoisse culmine en quelques secondes à peine et vous paralyse de terreur. Le trouble anxieux vous fait vivre une peur excessive et répétée, largement disproportionnée par rapport à sa cause.
Pathologique, il ne vous protège pas contre un péril réel, car il vous paralyse comme si vous étiez devant un obstacle invisible. Lorsque je tente d’expliquer cette différence à mes patients, ils sombrent dans l’incompréhension. Alors j’utilise l’exemple du tigre. «Si vous vous trouvez assis dans la salle d’attente et que sur le siège à côté de vous se trouve un tigre, vous avez bien raison d’avoir peur. Si toutefois votre cerveau vous impose cette frayeur, bien que le tigre soit absent, vous souffrez d’un trouble anxieux.»
Progressivement, les individus qui en sont atteints auront du mal à fonctionner au jour le jour. Les tâches au travail et dans leur quotidien leur paraitront insurmontables. Ils deviendront extrêmement nerveux à l’idée de rencontrer telle ou telle personne. Ils se sentiront mal à l’aise en public ou lors de certaines situations sociales (réunions, rencontres entre amis). De telle sorte qu’ils finiront par développer des comportements d’évitement.
Certains souffriront d’attaques de panique sans raison et sans avertissement, et ce, même durant leur sommeil. Les symptômes (palpitations cardiaques, tremblements, sudation excessive, difficulté à respirer, sensation d’oppression dans la poitrine, fourmillements, impression de devenir fou ou de mourir) rencontrés durant ces épisodes sont d’intensités variables, mais toujours débilitantes.
Plusieurs éprouvent de la nausée, des maux de ventre, de la diarrhée. D’autres, des maux de tête, des étourdissements, des troubles de la mémoire et de la concentration et parfois même de la confusion. Il n’est pas rare qu’ils perdent le sommeil et que leurs nuits soient peuplées de cauchemars, particulièrement dans les cas de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Dans des situations extrêmes, ils iront même jusqu’à expérimenter la sensation de quitter leur corps ou de se dissocier de la réalité.
Une maladie avant tout
Vous aurez donc compris que le trouble anxieux ne génère pas seulement des symptômes de nature psychique, mais aussi bel et bien physique. Contrairement à la croyance populaire, la maladie mentale, dont le trouble anxieux, n’est pas le résultat d’une faiblesse de caractère, mais d’un débalancement chimique au niveau du cerveau (sérotonine, GABA, endocannabinoïdes). C’est la manifestation d’une maladie à part entière, au même titre que toutes les autres maladies appartenant à la sphère corporelle.
Encore une fois, mes patients sont interloqués. «Je ne comprends pas, j’ai une bonne vie, un bon réseau de support, des amis… J’aime mon travail, mon couple va bien. Pourquoi ça m’arrive à moi?»
Parce que c’est une maladie; on ne le choisit pas. Personne n’est à l’abri. Le trouble anxieux représente la maladie mentale la plus fréquente parmi la population. Il regroupe sous son enseigne le trouble panique (caractérisé par des attaques de panique fréquentes), l’agoraphobie (appréhension irrationnelle de se retrouver dans des endroits publics), les phobies particulières (peur démesurée des araignées par exemple), la phobie sociale (associée à une crainte maladive d’être humilié ou rejeté lors de situations sociales), l’anxiété généralisée (où tous les aspects de la vie sont sujets à provoquer de l’anxiété) et l’anxiété de séparation.
Parmi les facteurs de risque, mentionnons une prédisposition génétique, certains traits psychologiques, des traumatismes vécus au cours de la vie et particulièrement durant l’enfance, des facteurs environnementaux, quelques maladies physiques (douleur chronique, maladies respiratoires et cardiovasculaires, épilepsie, hyperthyroïdisme, toxicomanie, diabète), l’effet secondaire de médicaments ou de stimulants.
Essentiellement, il y a un épuisement des mécanismes de défense pour les personnes qui auront vécu d’importantes difficultés dans la vie.
L’ensemble des troubles anxieux a une prévalence d’environ 20 % à 30 % si on prend en compte la durée de vie entière des individus. Il peut survenir à tout âge et débute souvent durant l’enfance ou l’adolescence. Les femmes y sont jusqu’à deux fois plus sujettes.
Plus son apparition débute tôt et plus la maladie risque d’être sévère par la suite. D’où l’importance de la diagnostiquer précocement. Et c’est là que le bât blesse, car elle n’est souvent pas reconnue. On évite de la considérer par crainte de stigmatisation ou par aversion aux agents pharmacologiques psychotropes. Il faut se rappeler que le fait de ne pas diagnostiquer le trouble anxieux entraîne des répercussions beaucoup plus importantes sur le développement et la qualité de vie future.
Malheureusement, une personne sur quatre seulement recevra un traitement pour cette condition, après une moyenne de 10 ans. Sachant qu’elle peut éventuellement s’accompagner d’autres troubles, dont la dépression, l’abus de substances (automédication pour apaiser les symptômes), l’isolement social et le décès par suicide, n’hésitez pas à parler à un professionnel de la santé.
Prendre la maladie à bras-le-corps
Le traitement doit d’abord inclure une psychothérapie. La thérapie cognitivo-comportementale où on reprogramme et désensibilise le cerveau par rapport à ses phobies est préconisée. L’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) a aussi démontré son efficacité. Les thérapies de groupe se sont également avérées bénéfiques. L’ajout d’un médicament (antidépresseur ou anxiolytique) est souvent nécessaire. Apprendre à gérer son stress sera des plus salutaire.
Parmi les stratégies d’auto-thérapie (self-therapy), modifier ses habitudes de vie est essentiel :
- viser une bonne hygiène de sommeil;
- cesser de consommer des stimulants (café, thé, cola, chocolat, sucres concentrés);
- interrompre, si c’est le cas, toute consommation d’alcool ou de drogues illicites (amphétamine, cocaïne) en vous faisant accompagner;
- pratiquer la méditation (yoga, exercice de respiration, biofeedback, relaxation musculaire);
- écrire un journal personnel;
- cesser d’éviter les situations anxiogènes (empêcher de construire mentalement un mur qui deviendra infranchissable);
- socialiser.
Ce qui m’amène à mon dernier point.
Peut-être sommes-nous devenus plus fragiles face à ce fléau en partie à cause de la dissolution du tissu social et familial? L’isolement fait mal. Mon conseil santé durant ces temps difficiles auxquels nous devons tous faire face est simple. Invitez votre voisin à prendre une bouchée. Apportez un café à votre collègue de travail et dites-lui combien vous appréciez sa collaboration. Voyez plus souvent vos amis et les membres de votre famille. Soyez optimiste. Donnez aux personnes qui en ont moins. Soyez reconnaissants.
Glossaire – Débilitant : qui diminue la force physique d’un être