En Alberta, les attaques contre les femmes musulmanes se sont multipliées ces dernières années. Le Service de police de la ville d’Edmonton (EPS) juge la situation «préoccupante» et admet «l’existence d’un problème de sécurité publique». Le Conseil des communautés musulmanes d’Edmonton (ECMC) réclame, de son côté, des peines plus sévères à l’encontre des agresseurs.
Mehdi Mehenni
IJL – Réseau.Presse – Le Franco
Alors que les citoyens musulmans de la province croyaient en avoir fini avec ces agressions dans les lieux publics, une nouvelle attaque vient jeter l’effroi sur la communauté, regrette Toqa Abdelwahab, étudiante à l’Université de l’Alberta.
Selon EPS, par l’intermédiaire de sa section des communications, les membres de la patrouille de la Division Nord-Est sont intervenus le 1er janvier dernier près de la mosquée Al Ameen et ont procédé à l’arrestation de Jeffrey Ryan Hill, 34 ans, pour méfait de moins de 5 000 $ et menaces contre une femme musulmane.
«Après consultation avec l’Unité des crimes haineux et de l’extrémisme d’EPS, les enquêteurs ont recommandé que l’article 718.2 du Code criminel du Canada soit appliqué dans cette affaire. Cela permet aux tribunaux d’envisager une augmentation de la peine lorsqu’il y a preuve que l’infraction a été motivée par la haine», précise le Service de police d’Edmonton.
D’après le président sortant du Conseil des communautés musulmanes d’Edmonton (ECMC), Masood Peracha, «l’agresseur a d’abord tenté de harceler une femme musulmane assise dans son propre véhicule avec ses deux enfants avant d’apporter une pelle d’une propriété voisine et de commencer à l’attaquer».
Une scène dont parle avec colère la jeune étudiante de 21 ans en biologie et en littérature française. «Cela m’a frustrée. J’étais malheureuse», clame-t-elle. Elle affirme que malgré les incessants appels lancés en direction des autorités pour les protéger contre les crimes haineux, «les femmes musulmanes n’ont rien vu venir».
«11 crimes motivés par la haine en 2021»
Le Service de police d’Edmonton ne nie d’ailleurs pas l’existence d’un problème de sécurité publique en la matière.
«Les attaques contre la communauté musulmane sont incroyablement préoccupantes. Lorsque les membres d’une communauté ont peur de sortir de chez eux, ont peur de se rendre dans les lieux de culte, il s’agit d’un problème de sécurité publique», reconnait EPS. Les autorités policières de la ville ont par ailleurs enregistré 11 crimes motivés par la haine contre la communauté musulmane en 2021.
«Les attaques contre la communauté musulmane sont incroyablement préoccupantes.» Section des communications de la Police d’Edmonton
Pour essayer de comprendre et d’expliquer ce phénomène, EPS atteste que ses agents «tentent, après chaque enquête, de déterminer les causes, d’examiner les événements pour voir s’ils ne sont pas liés ou coordonnés et de chercher les motivations des agresseurs». À ce jour, EPS assure qu’aucune piste ne pointe à l’horizon.
De son côté, Masood Peracha avoue que leur organisme communautaire «n’est pas en mesure d’identifier les causes précises de ce phénomène».
Une supposition survient, cependant, à son esprit. «Nous savons qu’il y a eu une augmentation indubitable du racisme antimusulman en Alberta et partout au Canada au cours des dernières années. Ces agressions dans les lieux publics contre des femmes musulmanes portant le voile semblent être une manifestation de cette islamophobie.»
À lire aussi :
À la question de savoir si l’ECMC a entrepris des actions pour lutter contre ces agressions récurrentes, notre interlocuteur indique que le Conseil «travaille en étroite collaboration avec les Services de police d’Edmonton, en particulier avec son Unité des crimes haineux». Masood Peracha insiste sur le suivi après le signalement de tels incidents, ainsi que sur la surveillance des résultats de la police dans le cadre de l’application de la loi et des poursuites judiciaires.
Il indique avoir aussi fait des démarches, en lien avec les politiques publiques, auprès du nouveau maire d’Edmonton, Amarjeet Sohi, et de certains conseillers municipaux.
«On nous suggère comme solution de rester à la maison!»
Mais ces efforts ne sont pas d’une grande efficacité aux yeux des femmes musulmanes comme Toqa Abdelwahab. Et la jeune étudiante semble avoir ses raisons. «Lorsque nous avons demandé aux responsables des mosquées de faire quelque chose, ils nous ont suggéré de rester à la maison ou de nous faire accompagner dans la rue par un tuteur», pestifère-t-elle.
«Lorsque nous avons demandé aux responsables des mosquées de faire quelque chose, ils nous ont suggéré de rester à la maison ou de nous faire accompagner dans la rue par un tuteur.» Toqa Abdelwahab
Elle dénonce, extrêmement mécontente, «quand des mosquées ont fait venir des policiers pour donner des conseils de sécurité aux femmes, ils nous ont proposé de porter sur soi du gaz poivré, ce qui est interdit [selon le Code criminel] au Canada. Leurs conseils étaient en grande partie inutiles».
EPS soutient pourtant que ses agents «ne ménagent aucun effort», qu’ils «enquêtent de manière approfondie sur toutes les plaintes» et qu’ils «continuent à appliquer les lois actuellement en place», en s’engageant à «aider à l’introduction d’une législation plus stricte pour les crimes de haine».
Sur ce dernier point, le Conseil des communautés musulmanes d’Edmonton nourrit justement de grandes attentes, Masood Peracha considérant que «les attaques violentes et les agressions motivées par la haine devraient entraîner des peines plus sévères. De même que les juges devraient considérer la haine comme un facteur aggravant lors de la détermination de la peine».