Un resto? Pourquoi pas. Après tout, ça fait longtemps que nous y sommes allés. Reste l’endroit. Sincèrement, a-t-on envie de se faire bassiner le jour de la Toussaint par un personnel qui vous présentera la gastronomie du restaurant avec pédanterie et formules surfaites du genre «foie gras de canard confit au Noilly Prat en sa robe de jambon Serrano»? Pas de chance, ce restaurant d’Amboise, réputé pour sa gastronomie, l’est aussi pour sa polyvalence, son art de lire dans nos pensées et d’user de talents pour obtenir ce qu’il veut. De la simplicité, voilà ce que, moi, je veux!
Entre pudeur et renonciation
De la simplicité et de la discrétion, il en faut en ce 1er novembre, car la suite s’annonce moins drôle : direction le cimetière. Dans ce lieu habituellement calme et paisible, on trouve de tout en cette veille de la fête des Morts. Je ne parle pas de nos défunts qui reposent en paix dans les cimetières de Tours et de Parçay-Meslay, ni de l’état des sépultures, mais des visiteurs. Cette année, j’ai noté le même phénomène : certains défunts auraient peut-être souhaité que leur douce moitié vienne leur rendre visite dans une tenue assez suggestive.
Qui a entendu parler de la «grande renonciation masculine»? C’est un psychologue anglais, John Carl Flügel (1884-1955), qui a donné naissance à ce concept dans The Psychology of Clothes publié en 1930. L’auteur fait remonter ce phénomène historique vers la fin du 18e siècle européen. Les vêtements masculins cessent alors de recourir à des formes brillantes, raffinées, désormais laissées aux vêtements féminins, pour faire place au costume au début du 19e siècle. Serait-ce la naissance du machisme moderne et d’une certaine répugnance de la féminité?
Je me demande toutefois si nous n’assisterions pas, en ce début du 21e siècle, à la grande renonciation féminine. Sensibilité, tendresse, douceur, beauté, romantisme laissent place progressivement à une vulgarité sans précédent : expression de son corps sur les réseaux sociaux, propos langagiers abstraits, mélange des genres et des goûts… L’antidote, ce n’est pas la discipline. Seulement, l’histoire et les guerres enseignent qu’il faut des femmes courageuses et déterminées pour assumer la marche du monde et défendre les droits des femmes. Alors, à part dans la ville de Waterloo, où sont les femmes politiques?
De petits carriéristes à la manœuvre…
Parlant d’expressions langagières douteuses, Alexandre Cédric Doucet, le président de la SAANB, trouve «dégueulasse» la décision du premier ministre Blaine Higgs d’avoir nommé Kris Austin, nouveau ministre et ancien membre de l’ultradroite, au Comité des langues officielles du Nouveau-Brunswick. Ce jeune avocat de formation s’arroge le droit de parler au nom des Acadiens. En 2020, si ma mémoire m’est fidèle, c’est fut une chroniqueuse de L’Acadie Nouvelle qui qualifia Higgs de «dictateur». À l’époque, il ne fallait pas compter sur un woke bien avisé pour s’offusquer d’un tel propos. J’avais personnellement protesté contre une telle diffamation, car j’estime inadmissible d’attirer de cette façon les regards sur soi en occultant une forme de médiocrité.
Les intérêts de classe ne sont pas une exclusivité anglophone. La discorde linguistique tient au fait que, par le passé, sous les mandats de Frank McKenna notamment, l’élite acadienne a trop longtemps pris pour argent comptant qu’elle disposait d’un poids politique incontournable. Avec chance, dans les décennies qui suivirent, l’Université de Moncton développa son laboratoire des élites et produisit même des premiers ministres et des députés. Pendant ce temps, les deux communautés linguistiques vivaient dans la solitude et se sentaient abandonnées par les centres décisionnels. D’où la revanche de la majorité anglophone.
On dit que Blaine Higgs n’est pas Richard Hatfield (Roger Ouellette, L’Acadie Nouvelle). Higgs est le représentant d’une mouvance populaire déçue par le système des élites à Fredericton; un montage qui remonte même bien avant 1987, sous la gouverne de Hatfield avec son favoritisme. Les élites acadiennes ont décidément la mémoire courte. Faut-il rappeler à quel point ce fut difficile pour Louis Robichaud d’exercer le pouvoir sans l’appui de la famille Irving? Robichaud savait pourtant de Machiavel que le peuple peut être plus sage que les princes. Qui, parmi les notables acadiens d’aujourd’hui, est capable de prendre le pouvoir et le conserver pendant dix ans comme P’tit Louis?
Plutôt qu’un vocabulaire toxique, l’élite acadienne pourrait contribuer au combat contre le populisme. Le discours de Pierre Poilievre gagne du terrain chez les jeunes. Poilievre, c’est une autre paire de manches que Higgs : un faiseur de fausses nouvelles, décidé à ébranler certaines structures de l’État, voire un conspirationniste qui mise sur la division pour se hisser au pouvoir. Le fait de jouer avec la peur n’est pas digne d’un candidat qui aspire au poste de premier ministre du Canada. Son cas reflète une crise politique suffisamment grave pour se demander comment redonner goût au leadership (acadien).
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Il faut un travail de pensée colossal, s’adresser à celles et à ceux qui, peinant à écrire, travaillent durs, se consolent avec une bière et de la country et considèrent que la chasse à l’orignal demeure le moment idéal pour sortir son fusil : la bête achevée, reste à la dépecer et s’assoir sur elle pour une séance photo destinée à Facebook. Sincèrement, afin de se considérer comme une exception dans la francophonie canadienne, ayons au moins le courage et la décence d’avouer que nous avons perdu l’esprit du combat honnête et juste qui animait tant nos ancêtres.
Au pays de l’antiracisme
Tiens donc, voilà de nouveau l’antiracisme français à l’œuvre. Cette fois, c’est à l’Assemblée nationale française que de nombreux députés se sont dressés vent debout contre une déclaration pour le moins douteuse («qu’il(s) retourne(nt) en Afrique») d’un député d’extrême droite, Grégoire de Fournas, pendant que le député Nupes, Carlos Martens Bilongo, posait une question au gouvernement au sujet des bateaux de migrants dans la Méditerranée. Le député du Rassemblement national a eu beau se justifier, il a non seulement été censuré deux jours plus tard, mais aussi exclu des travaux de l’Assemblée, et ce, pour une durée de quinze jours.
Osons : l’antiracisme aurait-il perdu la carte? Quelle différence y a-t-il avec les déclarations du ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui, évoquant la nécessité de réviser la loi asile et immigration, ajoute qu’il faut «être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants»? Chassez le naturel, il revient au galop. Cette façon de procéder n’a plus sa place dans une démocratie.
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L’antiracisme serait-il devenu le pendant du conformisme (républicain), lequel norme qu’il n’y a qu’un seul français («Impossible n’est pas français!» avait dit Napoléon)? Dans les deux cas, il y a dureté par vanité : «De même que la justice est souvent le manteau de la faiblesse, de même les hommes bien pensants, mais faibles, ont recours à la dissimulation et prennent visiblement une attitude injuste et dure — pour donner l’impression de la force». Ces propos de Nietzsche (Humain, trop humain, tome 1, 2e partie, «Opinion et sentences mêlées», ¶64) sont à méditer.
Disons «stop» aux directives de conscience
N’est-ce pas paradoxal qu’on veuille décoloniser les esprits — Dieu sait qu’on les compte en quantité celles et ceux qui s’emploient à le faire : des recherches subventionnées par l’État aux journaux, en passant par les réseaux sociaux —, alors que nous n’avons jamais été dans une aussi grande confusion? J’espère seulement ne pas ajouter à l’étourderie ambiante en disant que les propositions donnent à mourir de rire. Elles sont parfois si ridicules que l’épaisseur du moi du moi devient le seul refuge. Qui a dit que «le ridicule ne tue pas»?