La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor a déposé le projet de loi C-13 sur la modernisation des langues officielles le 1er mars. Les mesures positives sont précisées, les pouvoirs du commissaire aux langues officielles renforcés, le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien se partagent la mise en œuvre et la surveillance de l’application de la Loi. La grande nouveauté est l’édiction d’une nouvelle loi centrée sur l’usage du français dans les entreprises privées de compétence fédérale.
Francopresse – Inès Lombardo
La ministre des Langues officielles a qualifié le jour «d’historique» en conférence de presse à partir de Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, après avoir déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-13 modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Ce projet de loi comprend bon nombre de différences comparativement au projet de loi C-32 déposé en juin dernier par l’ancienne ministre des Langues officielles, Mélanie Joly. Le projet de loi C-13 répond en partie à plusieurs demandes de renforcement, notamment portées par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).
Des précisions sur les mesures positives
La Partie VII de l’actuelle Loi sur les langues officielles demande aux institutions fédérales de prendre des «mesures positives». La nature de ces mesures est clarifiée dans le nouveau projet de loi indiquant qu’elles doivent être «concrètes» et «prises avec l’intention d’avoir un effet favorable sur les minorités francophones et anglophones et les deux langues officielles au Canada».
La nature des mesures concerne, entre autres, la promotion et l’appui à l’apprentissage du français et de l’anglais ; inciter les organisations et associations à promouvoir le bilinguisme ; l’appui à des «secteurs essentiels» qui œuvrent à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones ; ou encore, faire accepter et apprécier les deux langues à l’ensemble de la population canadienne.
Les institutions devront appliquer ces mesures sur la base d’analyses avec les minorités anglophones et francophones. Un processus particulier sera mis en place pour assurer le respect de ces mesures au sein des institutions fédérales qui devront, après l’entrée en vigueur de la loi, considérer l’impact négatif que pourraient avoir leurs décisions sur l’épanouissement des minorités anglophone et francophone.
Des rôles distincts pour le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien
Le Conseil du Trésor voit certains de ses pouvoirs discrétionnaires remplacés par des obligations. Le ministère devra établir des instruments de politique, surveiller, vérifier et évaluer l’efficacité de la mise en œuvre des principes et programmes concernant les services au public, la langue de travail et la participation des Canadiens et Canadiennes d’expression française et anglaise dans la fonction publique, ainsi que l’étroite surveillance de l’application des mesures positives par les institutions fédérales.
Le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien se partageront la responsabilité de renseigner la population sur ce dernier point.
Ordonnances et sanctions possibles pour le commissaire aux langues officielles
De nouveaux pouvoirs sont attribués au commissaire qui pourra notamment conclure des accords de conformité avec les institutions fédérales et émettre des ordonnances envers ces dernières dans les domaines du service au public et de la langue de travail.
Des sanctions administratives pécuniaires ne dépassant pas 25 000 $ peuvent maintenant viser certaines entreprises privées et sociétés d’État œuvrant dans le transport et le service aux voyageurs.
Ces secteurs ont fait l’objet de plaintes récurrentes par le passé. En novembre dernier, le PDG d’Air Canada, Michael Rouseau, avait prononcé un discours en anglais uniquement, à Montréal, argüant d’un manque de temps pour apprendre le français.
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Les sanctions économiques ne pourront pas être multipliées à l’encontre d’une entreprise pour un même incident. Et surtout, ces sanctions ne seront appliquées que s’il y a une plainte auprès du commissaire à propos d’un incident précis commis par l’une de ces entreprises ou sociétés d’État.
Ces sanctions ne se veulent pas punitives, a assuré l’une des représentantes du ministère : «C’est pour encourager la conformité de l’entreprise. Ça n’est pas une amende.»
En réaction au projet de loi C-13, le commissaire aux langues officielle a toutefois déclaré : «Certaines questions linguistiques gagneraient à être discutées davantage, notamment la gouvernance et la coordination horizontale des langues officielles.»
Une politique en immigration francophone
À l’article 23, le projet de loi énonce une obligation envers le Canada de se doter d’une politique sur l’immigration francophone avec des «objectifs, des cibles et des indicateurs», et qui reconnait l’importance de cette immigration pour contrer le déclin du poids démographique.
Une nouvelle loi sur l’usage du français dans les entreprises privées de compétence fédérale
Le projet de loi C-13 inclut, en plus des modifications apportées à la Loi sur les langues officielles, la création d’une nouvelle loi distincte qui concerne l’usage de la langue française au sein des entreprises privées de compétence fédérale.
Pour répondre aux préoccupations des francophones, notamment en situation minoritaire, de nouveaux droits et obligations pour travailler et se faire servir en français seront intégrés au sein de ces entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions à forte présence francophones. Patrimoine canadien sera chargé de surveiller la bonne application de cette loi, sur ses deux aspects.
Concernant les aspects de services aux consommateurs des entreprises privées de compétence fédérales, les droits et obligations concernent surtout le Québec, comme c’est précisé à l’article 54 : «Les consommateurs au Québec ont le droit de communiquer en français avec une entreprise privée de compétence fédérale qui y exerce ses activités et de recevoir de celle-ci des services dans cette langue.»
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Pour la langue de travail, les employés ont notamment le «droit de travailler et d’être supervisés en français ; de recevoir toute communication ou documentation […] de l’entreprise en français ; d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français».
Un décret activera cette Loi, d’abord dans les entreprises concernées au Québec puis, deux ans plus tard, dans toutes celles du pays. La ministre n’a pas fourni d’explication sur le délai de deux ans entre l’application de cette loi au Québec et hors Québec.
Le projet de loi reste silencieux sur les clauses linguistiques dans les ententes de transfert fédérales-provinciales/territoriales, comme l’a déploré la FCFA par voie de communiqué : «Cette question-là a un impact majeur sur le terrain. En Colombie-Britannique, des clauses linguistiques faibles ont eu un impact dévastateur sur les services d’aide à l’emploi en français dans la province. Et on a vu avec la signature des ententes sur le Programme national de garderies combien rien n’est assuré quand il n’y a pas de clauses qui exigent explicitement des services équitables en français» illustre Liane Roy, présidente de l’organisme.
Prochaine étape : le projet fera l’objet de débats à la Chambre des communes et au Sénat, puis d’une étude au sein des comités permanents aux langues officielles dans les deux chambres.