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le Dimanche 21 août 2022 13:00 Opinions PR

Les excuses du pape François et l’histoire du colonialisme

Le pape François a récemment présenté des excuses pour le rôle de l’Église catholique dans les pensionnats autochtones. Il a ainsi offert une réponse à un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et donné suite aux demandes de représentants des peuples autochtones (et sans doute de l’Église catholique du Canada). Toutefois, sa manière de s’excuser contredit l’histoire qu’a présenté la Commission et limite la responsabilité de l’Église.
Les excuses du pape François et l’histoire du colonialisme
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Je me garderai bien, moi qui ne suis ni Autochtone ni catholique, d’évaluer la portée ou la justesse des excuses du pape François. L’ancien président de la Commission de vérité et réconciliation, Murray Sinclair, a montré qu’elles ne correspondent pas à ce que demandait l’appel à l’action 58.

En écoutant ces excuses, je ne peux toutefois m’empêcher de remarquer la distance qui les sépare des faits avérés.

Les discours qu’il a prononcés au Canada se rapprochent davantage des regrets exprimés par Benoît XVI en 2009 ainsi que «son chagrin pour l’angoisse provoquée par la conduite déplorable de certains membres de l’Église». Ces deux papes, aux antipodes du continuum politique et moral, présentent une même vision faussée du rôle de l’Église dans les pensionnats autochtones.

Si les excuses du pape François manquent leur cible, c’est avant tout parce qu’elles participent au déni de la responsabilité de l’Église non seulement pour les abus infligés aux enfants dans les pensionnats, mais aussi pour son rôle dans le colonialisme.

L’usage de la voix passive ou d’une formulation ambigüe permet au pape de ne pas nommer de coupables : les enfants « ont subi » des abus, «ont été éloignés» de leur famille, les langues et cultures autochtones «ont été dénigrées et supprimées».

Le pape a aussi argüé que «de nombreux chrétiens» ont soutenu la mentalité colonisatrice au Canada. Dans les excuses présentées à Québec, il a aussi pris ses distances des institutions catholiques locales impliquées dans le système des pensionnats.

Le pape a aussi jeté le blâme pour le colonialisme et surtout pour la destruction culturelle sur les politiques et projets du gouvernement canadien, ainsi que sur une vague «mentalité colonisatrice».

Un colonialisme chrétien

Rappelons que la création des premiers pensionnats autochtones est attribuable aux missionnaires catholiques. La francisation des peuples autochtones en Nouvelle-France a été menée en grande partie par le clergé catholique.

La francisation ne s’entend pas exclusivement de l’enseignement de la langue française, mais bien de l’inculcation des mœurs et des coutumes, jusqu’à l’habillement, des Français – ainsi que de la religion catholique.

Des missions seront créées dans les postes de traite des fourrures, puis dès les années 1850, des écoles pour enfants autochtones s’y ajouteront afin d’éloigner les enfants des modes de vie autochtones.

En 1870, les Oblats avaient déjà fondé 14 écoles dans l’Ouest canadien, la plupart pour les enfants autochtones.

Lorsqu’en 1883 le gouvernement canadien crée le système de pensionnats autochtones, il s’appuie sur les réseaux d’écoles et pensionnats qui existent déjà et qui avaient été mis sur pied non seulement par l’Église catholique, mais également par les Églises anglicane, méthodiste, presbytérienne et unie.

Toutes les Églises rivalisent alors pour obtenir le droit de créer de nouvelles écoles et surtout un financement pour le faire. Loin de se joindre au projet colonial du gouvernement du Canada, les Églises l’ont rendu possible et en ont offert les bases.

Il faut ainsi voir les projets de conversion et d’assimilation comme interdépendants et convergents, selon l’historienne du catholicisme Rosa Bruno-Jofré : «L’Église visait la conversion à la nouvelle religion et le salut d’un enfant autodiscipliné, tandis que l’État cherchait l’assimilation et un sujet autochtone gouvernable.» [trad.] Les deux idéaux convergeaient dans les efforts de colonisation.

Un colonialisme canadien-français

Par opposition aux autres religions chrétiennes, l’Église catholique travaillait pour que l’Ouest canadien soit français et, bien entendu, catholique. Elle poursuivait ce que l’historien Robert Painchaud appelait en 1987 «Un rêve français dans le peuplement de la Prairie».

Au moins jusqu’en 1915, elle n’a cessé d’élaborer des stratégies pour attirer davantage de catholiques francophones qui pourraient établir des communautés stables dans l’Ouest, mais aussi assurer leur vitalité.

Ces endroits – comme la vallée de la rivière Qu’Appelle, Gravelbourg, Prince Albert, Batoche, Saint-Albert ou Saint-Paul – continuent aujourd’hui de former le cœur des communautés francophones de l’Ouest.

On peut certes voir ces efforts de peuplement catholique comme une façon de résister à la colonisation anglophone et protestante – mais aussi comme une manière de détourner le projet colonial canadien aux fins de l’Église.

Il reste néanmoins à approfondir l’histoire du soutien des communautés catholiques canadiennes-françaises aux ordres religieux qui géraient les pensionnats – ces membres de l’Église dont parle le pape dans ses excuses, qu’ils fassent partie du clergé ou ne soient que des fidèles.

On sait déjà que les défenseurs des droits linguistiques et religieux des Canadiens français œuvraient aussi au sein des pensionnats. Pensons au père Lacombe et à monseigneur Grandin, ou encore à messeigneurs Provencher, Taché et Langevin qui ont établi tant de pensionnats et qui continuent de faire figure de héros pour les francophones.

Pensons également aux Oblats qui soutenaient les efforts de militance et d’autoorganisation des communautés francophones, notamment en Alberta. Le travail, dirigé par les évêques, pour établir des colons, allait de pair avec toutes les attaques contre les peuples autochtones déplorées par le pape François.

La reconnaissance des torts de l’Église va au-delà d’une transformation de sa culture : elle exige une réparation, comme l’explique la directrice de la Société du soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Cindy Blackstock. La responsabilité appartient tant à l’Église qu’aux fidèles qui la soutiennent aujourd’hui.