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le Jeudi 3 février 2022 9:00 Éducation PR

La petite enfance surfe sur la 5e vague

Le retour en classe ayant �t� retard� au 10 janvier, Rosalie, 7 ans, et Daphn�, 4 ans, s'amusent � faire des exp�riences et des savons avec maman Isabelle. Cr�dit : Courtoisie
Le retour en classe ayant �t� retard� au 10 janvier, Rosalie, 7 ans, et Daphn�, 4 ans, s'amusent � faire des exp�riences et des savons avec maman Isabelle. Cr�dit : Courtoisie
La petite enfance surfe sur la 5e vague
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COVID-19, puis les variants Alpha, Bêta, Gamma, Delta et, plus récemment, Omicron. Il y a de quoi devenir un spécialiste de la Grèce antique. Mais pour les professionnels de la petite enfance et les parents qui leur font confiance, la volonté est ailleurs. Entre absentéisme, craintes et mesures sanitaires, la logistique se complexifie et l’anxiété perdure.

Arnaud Barbet
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

«Je ne veux pas que mes filles se ramassent à l’hôpital», s’exclame Isabelle Déchène Guay. Un message qui interprète facilement l’angoisse de cette maman de deux petites filles, Daphné et Rosalie. Elle le dit elle-même, son anxiété a été exacerbée par la pandémie.

«Je ne veux pas que mes filles se ramassent à l’hôpital.» Isabelle Déchène Guay

Un état de fait qui résonne chez de nombreux parents, semble acquiescer Valérie Deschênes, directrice adjointe pour la gestion de services de garde à la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA). Responsable de la mise en place de programmes éducatifs et d’accompagnement à la gestion des centres de petite enfance (CPE) dans la province, elle assure que tout est mis en œuvre pour diminuer les risques de propagation de la maladie.

«C’est beaucoup de gestion, mais depuis deux ans, nous n’avons jamais réduit nos protocoles, même l’été dernier!» Car même si la population albertaine a pu respirer pendant la période estivale selon les directives du gouvernement provincial, Valérie Deschênes assure que conserver le port du masque à cette période a été salutaire.

Daphné adore aller à la Prématernelle Manon

Daphné, 4 ans, adore aller à la Prématernelle Manon située à l’école Sainte-Jeanne-d’Arc. Crédit : Courtoisie – Prématernelle Manon

«On a toujours gardé des protocoles très stricts possibles, cela a évité la frustration de nos employés et de notre clientèle. Car quand on décide d’enlever le masque, c’est facile et bien agréable, mais quand quelques semaines plus tard, il faut le remettre, ce n’est pas la même chose.»

Et ce n’est pas Isabelle Déchène Guay qui va contredire la directrice adjointe de la FPFA.

Très critique, elle a bien l’impression que les autorités vivent à «Lalaland», en référence à cette comédie musicale très légère, «car franchement pour avoir cru que c’était fini!»

Des parents entre l’enclume et le marteau

«On suit les protocoles de la province, mais ces protocoles évoluent très souvent. On se tient au courant, on les change, on prévient les parents au fur à mesure. C’est beaucoup de logistique», enchérit Valérie Deschênes.

Cela ne l’empêche pas de voir des parents fâchés ou frustrés à l’entrée des garderies. Compréhensive pour la gestion que cela demande à tous, elle l’assure, «on essaie d’être diplomates et on fait notre possible pour que les parents récalcitrants comprennent qu’on ne créait pas les règles gouvernementales!»

Malgré sa bonne humeur, Mme Déchène Guay ne cache pas ses incompréhensions. «Ce qui est tannant surtout avec Daphné, 4 ans, c’est qu’on ne peut pas la faire vacciner, alors on fait encore plus attention à la garderie.»

Valérie Deschênes, directrice adjointe de la FPFA

Valérie Deschênes, directrice adjointe de la Fédération des parents francophones de l’Alberta

Cela n’empêche pas certains parents d’envoyer leurs enfants avec «le nez qui coule» ou d’autres prémices symptomatiques à la garderie. «Si ton enfant devient un cas contact, c’est toute la famille qui est hypothéquée!» Fini la prématernelle ou les activités extrascolaires, bonjour le confinement pour tous.

Ce cri du cœur est très vite rattrapé par la raison, «je ne blâme pas les parents, je suis sûre qu’un grand nombre n’ont malheureusement pas le choix que d’aller travailler à l’extérieur». Sa profession lui permet de gérer les aléas de ses filles à domicile, mais «ce n’est pas facile tous les jours!»

«Daphné est dans sa bulle de petite fille, mais se rend bien compte qu’elle ne va plus à la prématernelle, car les enfants y sont trop nombreux.» Rosalie, l’aînée de 7 ans, semble plus affectée et sensible aux ressentis de sa maman. «La semaine passée, j’étais très nerveuse qu’elle retourne à l’école, elle l’a senti et s’est mise à pleurer.»

Trouver du personnel, une urgence absolue

Depuis la rentrée de janvier, la directrice adjointe de la FPFA semble percevoir une baisse de la propagation du virus. Elle espère timidement que cela a un lien avec la hausse des vaccinations. Par contre, «on a eu des cas dans la majorité de nos centres et la plus grosse difficulté, c’est le remplacement des effectifs».

«On a eu des cas dans la majorité de nos centres et la plus grosse difficulté, c’est le remplacement des effectifs.». Valérie Deschênes

«De nombreuses personnes bénéficient des aides gouvernementales et n’ont pas forcément envie de se mettre à risque. D’autres ont peur de remplacer des gens malades et d’autres sont certainement déjà malades», énumèrent-elles sans jugement.

Alors lorsque dans un même centre, «vous avez 5 à 6 personnes malades la même journée, cela devient très compliqué». Elle ajoute que les CPE de régions sont les plus mal lotis. «À Edmonton ou Calgary, on a des gens à peu près disponibles; mais à Brooks, on a juste 1 employé; à Canmore, ils ne sont que 4 et les remplaçants sur appels ne sont pas forcément disponibles.»

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Si l’Association des éducateurs de la petite enfance de l’Alberta constate une baisse d’environ 20% de ses éducatrices à la petite enfance agréées au cours de la première année de la pandémie (mars 2020 à mars 2021), Valérie Deschênes lance l’alerte. «Les réglementations n’ont pas changé pour embaucher des professionnels de la petite enfance et nous devons trouver des francophones». Une double peine qui risque d’être préjudiciable à la rentrée de septembre.

En effet, «avec la mise en place des garderies à 10$, on risque d’avoir un afflux de nouveaux enfants». Des enfants qui, selon la directrice adjointe, vont avoir besoin de plus d’attention et d’écoute. «Les enfants de la COVID-19 ont moins socialisé dans leurs premiers mois. Ils n’ont pu aller au parc, jouer avec d’autres enfants. Les bébés ont eu leurs parents sans cesse, ils auront sûrement des besoins différents, peut-être des signes d’anxiété…»

Optimiste et positive, Valérie Deschênes rend hommage à la profession, «les éducatrices sont toujours au front. Elles viennent le matin parfois avec la peur, mais la passion prend toujours le dessus». Elle espère très vite offrir une vie normale à tous ces jeunes et ses équipes. Quant à la maman de Rosalie et Daphné, elle est bien consciente qu’il va falloir apprendre à vivre avec le virus, «je dois lâcher prise!».

«Les éducatrices sont toujours au front. Elles viennent le matin parfois avec la peur, mais la passion prend toujours le dessus.» Valérie Deschênes