le Dimanche 6 octobre 2024
le Jeudi 19 septembre 2024 13:07 Sports

Johnny Gaudreau : un drame qui fait réfléchir

Un mémorial a été improvisé aux abords du Saddledome en l’honneur des frères Gaudreau et où de nombreux partisans se sont recueillis début septembre . Photo : Arnaud Barbet
Un mémorial a été improvisé aux abords du Saddledome en l’honneur des frères Gaudreau et où de nombreux partisans se sont recueillis début septembre . Photo : Arnaud Barbet
La tragédie qui a coûté la vie à l'ancienne vedette des Flames de Calgary, Johnny Gaudreau, et à son frère Matthew a profondément secoué la communauté sportive ces dernières semaines. De nombreux hommages ont afflué pour honorer leur mémoire. Alors que la vie reprend doucement son cours, certains peinent encore à mettre en mots les circonstances de ce drame.
Johnny Gaudreau : un drame qui fait réfléchir
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Andrew Yip (à gauche) en compagnie de Johnny Gaudreau. Photo : Courtoisie

«C’est surréaliste. Cela ne semble toujours pas réel. Comment quelqu’un que je pensais invincible peut-il disparaître? Pourquoi notre Johnny, le gars le plus gentil du monde?», se demande Andrew Yip, grand passionné de hockey et fervent partisan des Flames de Calgary où le joueur élite a disputé les neuf premières saisons de sa carrière.

Depuis l’annonce du décès des frères Gaudreau, qui ont été happés par un conducteur présumément en état d’ébriété alors qu’ils circulaient à vélo sur une route rurale du New Jersey le 29 août dernier, Andrew est bouleversé. «Je ne m’en suis toujours pas remis. Je pense à leur famille. Ils ont perdu deux fils, deux pères de famille, deux maris», confie-t-il, la voix chargée d’émotion. 

Il souligne que le contexte rend cette perte encore plus tragique : les deux frères sont décédés au même moment, leurs épouses étaient toutes deux enceintes et la famille était réunie pour célébrer le mariage de leur sœur cadette. «On se sent impuissants face à tant de douleur. On pense à Johnny parce qu’on était attachés à lui à Calgary, mais il ne faut pas oublier Matthew», mentionne-t-il.

Andrew tient d’ailleurs à adresser ses pensées les plus sincères à la famille Gaudreau, particulièrement à Guy, le père des défunts, qu’il a personnellement rencontré grâce à la ligue de hockey Iceman qu’il organise à Calgary. «Il avait joué un match avec nous un soir. C’était probablement l’une des plus belles journées de ma vie», se remémore-t-il

Olivier Lemieux en compagnie de sa fille Kiara. Photo : Courtoisie

Se souvenir de «Johnny Hockey»

Les partisans des Flames ont été nombreux à rendre hommage au fougueux attaquant durant les treize jours de deuil décrétés en son honneur, un clin d’œil à son numéro emblématique. Certains ont déposé des gerbes de fleurs, des bouteilles de Gatorade ou des paquets de Skittles au mémorial improvisé aux abords du Saddledome, alors que d’autres ont participé à la vigile du 4 septembre dernier.

Andrew Yip a visité le lieu de recueillement peu après le drame. Il a également assisté à la veillée organisée en l’honneur des Gaudreau. C’est à ce moment que la perte de «son joueur préféré» est apparue plus tangible. 

«C’était puissant et intense. Je n’avais jamais vu autant de gens rassemblés pour un seul événement. Je pense que ça montre à quel point les partisans aimaient Johnny et à quel point il les a marqués, même après son départ de Calgary», raconte-t-il. 

À l’été 2022, Johnny Gaudreau avait signé un contrat avec les Blue Jackets de Columbus, une décision «crève-cœur» motivée par son désir de se rapprocher de sa famille. Un choix qui avait aussi beaucoup attristé la base partisane des Flames. Johnny était admiré non seulement pour son immense talent – avec ses 609 points en 602 matchs sous le maillot de Calgary –, mais aussi pour «sa grande générosité, sa simplicité et son humanité».

«J’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises. Une fois, nous portions tous les deux un chandail à capuchon des Flames. On avait l’air de deux gars ordinaires, comme de vieux amis. C’était ça Johnny, petit pour par sa taille, mais immense par son caractère. On pouvait facilement s’identifier à lui», mentionne Andrew en faisant référence au petit gabarit du joueur américain. 

Sur la glace, Johnny Hockey était «électrisant», raconte, quant à lui, Olivier Lemieux, un autre partisan des Flames et fanatique de hockey. «Quand il était dans des endroits restreints de la patinoire, avec son intelligence, il faisait lever tout le monde de leur banc. Un de mes moments préférés a été le match numéro 7 des séries [éliminatoires] de 2022 contre les Stars [de Dallas] quand il a marqué le but en prolongation… Ça ne s’oublie pas», ajoute-t-il.

Ce Québécois d’origine établi à Calgary depuis plusieurs années a assisté à une cinquantaine de joutes pendant que Gaudreau évoluait pour la formation albertaine. Il appréciait non seulement ses performances sur la glace, mais aussi son engagement dans la communauté. «Il était très impliqué avec les jeunes et toujours le premier à s’impliquer dans les activités hors glace comme les visites à l’hôpital de Calgary», se remémore-t-il.

Difficile d’expliquer un tel drame

Voir une de ses idoles perdre la vie dans des circonstances aussi «simples et bêtes qu’un accident de la route» a également amené ce père de famille à réfléchir à la fragilité de la vie. «Moi, j’ai 34 ans, j’ai des enfants en bas âge et c’est troublant de réaliser qu’un jeune père peut partir aussi tôt. Ça peut arriver à n’importe qui, n’importe quand», laisse-t-il entendre. 

Si la communauté du hockey a été profondément secouée par cet événement, Olivier Lemieux estime que le monde du cyclisme de route a également été affecté. Il espère que cet accident «qui n’aurait jamais dû se produire» pourra toucher des «cordes sensibles» et «changer les choses» en ce qui concerne la sécurité routière.

Une telle perte peut, en effet, servir à réitérer certains messages de prévention, notamment ceux liés à l’alcool au volant et à la conduite dangereuse, estime Marie-Soleil Cloutier, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) du Québec et directrice du laboratoire Piétons et Espace urbain. Or, la sensibilisation sur le partage de la route et «la grande vulnérabilité» de certains usagers comme les cyclistes «demeure toujours à refaire».

«Les usagers vulnérables n’ont pas d’habitacle de protection. Dans le cas d’une collision, l’impact est beaucoup plus grand sur eux parce qu’ils n’ont pas une boîte de métal pour les protéger des chocs», explique-t-elle.

Cette vulnérabilité est accentuée par le fait que nos routes «ne sont pas conçues» pour un partage équitable, «particulièrement en Amérique du Nord» où l’aménagement desdites routes est trop souvent défavorable aux cyclistes. «On peut penser à une chaussée qui serait trop étroite ou à des accotements en gravier», ajoute-t-elle.

Marie-Soleil Cloutier est professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) du Québec. Photo : Courtoisie

Un rare cas de figure 

Malgré la gravité du drame ayant coûté la vie à Johnny et Matthew Gaudreau, Mme Cloutier se veut rassurante : de tels accidents demeurent rarissimes. «C’est une situation extrême, une sorte de tempête parfaite ou plutôt imparfaite. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas sérieux ni qu’il ne faut pas agir en conséquence», rappelle-t-elle.

En effet, tout semble indiquer que les frères «étaient dans le respect des règles de circulation». L’individu les ayant frappés a quant à lui commis une manœuvre «complètement illégale». «Ce que je comprends, c’est qu’il était en état d’ébriété et qu’il avait beaucoup d’impatience. Il a essayé de dépasser par la droite», précise-t-elle.

Mais bien que l’alcool au volant reste un problème  majeur de sécurité routière comme l’illustre ce cas de figure, la cause principale des collisions demeure cependant la vitesse excessive, nuance Mme Cloutier. 

«La vitesse excessive ne [se limite] pas à rouler à cent dans une zone de cinquante. C’est aussi de rouler à soixante dans une zone de cinquante ou encore à quarante dans une zone de trente.» En milieu rural, il y a aussi plusieurs endroits où la vitesse est limitée à soixante-dix ou quatre-vingts, mais où les automobilistes ont l’habitude de circuler à cent, ajoute-t-elle.

«Le message à passer, c’est qu’il faut agir avec prudence. La vitesse excessive diminue nos réflexes et notre champ de vision. Elle réduit aussi le temps pour que la voiture s’immobilise au moment de freiner, ce qui nous empêche de réparer nos erreurs ou celles des autres usagers.»

À Calgary, l’accident de Johnny Gaudreau va-t-il sensibiliser les automobilistes à la vulnérabilité des cyclistes. Photo : Arnaud Barbet

Un joueur qui a laissé sa trace 

L’organisation des Flames de Calgary a annoncé le 16 septembre dernier que les objets déposés au Saddledome en hommage aux frères Gaudreau seront retirés et distribués à des œuvres de bienfaisance. Alors que la mémoire de leur départ commence à s’estomper, certains partisans de Johnny Hockey ont lancé des idées pour s’assurer que le joueur vedette ne soit jamais oublié.

«J’ai entendu des rumeurs selon lesquelles certaines personnes souhaiteraient que le trophée Lady Bing soit renommé en son honneur», raconte Olivier Lemieux. Ce dernier est remis annuellement au joueur considéré comme ayant le meilleur esprit sportif tout en conservant des performances remarquables. «Johnny n’était pas seulement une star, c’était une superstar. Il recevait rarement une pénalité, ne se battait jamais. Son caractère sur et hors de la glace reflète vraiment ce trophée», ajoute Andrew Yip.

Il souhaite d’ailleurs que le numéro 13 soit retiré par les Flames de Calgary. «Je ne crois pas que qui que ce soit d’autre devrait porter ce numéro à nouveau.» Même son de cloche du côté d’Olivier. «Les Flames, c’est une équipe assez jeune dans la [LNH]. On a des légendes, mais pas des dizaines. Johnny, je le mets dans ce lot-là. Le 13 devrait être retiré.»

Glossaire – Emblématique : Représentatif, caractéristique