Un panel de discussion sur la culture et le PIB a eu lieu vendredi 9 aout à Halifax à l’occasion de l’Agora du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne, afin de faire émerger des pistes de solutions.
«La culture est l’aspect le plus important de l’existence humaine. Je ne vois pas pourquoi elle devrait être rentable», affirme la directrice générale de l’Association de la musique de la côte Est (AMCE), Blanche Israël, en entrevue avec Francopresse.
Devant l’incompréhension des gouvernements provinciaux hors Québec, la gestionnaire est néanmoins «souvent obligée de faire valoir ses apports économiques et touristiques» pour obtenir des fonds.
«Côté francophone, il y a une meilleure compréhension et souvent plus d’aides, car la culture est intrinsèquement liée à la préservation et à la défense de la langue française», concède Blanche Israël.
L’AMCE réunit les membres de l’industrie musicale du Canada atlantique et organise tous les ans un festival pour promouvoir et récompenser les artistes de la région. Des responsables de production et de l’organisation de festivals du monde entier y participent.
Chaque année, cinq jours de concerts et de remises de prix apportent des retombées économiques directes de 4 à 5 millions de dollars à la région hôte, selon Blanche Israël.
Elle évoque également les gains financiers indirects, «presque impossibles à mesurer», comme «la marque Canada atlantique» qui s’exporte dans le monde entier.
«Ce genre de festivités rend une ville plus attrayante, donne envie aux touristes de revenir, permet à des musiciens locaux de percer à l’étranger», explique-t-elle.
Des données pour accroitre le soutien
Pour pallier le manque de données sur les revenus que génère le secteur culturel dans les communautés francophones en situation minoritaire, la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) a réalisé une étude d’impact économique.
Les résultats ont été dévoilés lors de l’Agora du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne, les 9 et 10 aout.
La directrice générale de la FCCF, Marie-Christine Morin, explique qu’il existe de grandes disparités entre les provinces et les territoires en fonction de la concentration d’artistes et d’industries culturelles.
Selon les premières données dévoilées, 36 100 personnes travaillent dans le domaine de la culture en français hors Québec, dont 7700 artistes.
«Historiquement, notre secteur est sous-financé, car son impact est sous-évalué, relève Marie-Christine Morin. Avec ce portrait détaillé, notre ambition est de démontrer que la culture a sa place dans le monde économique pour convaincre les gouvernements d’investir plus.»
Sans argent public, «plus du divertissement que de l’art»
Pour organiser son festival, l’AMCE compte sur des subventions municipales, provinciales et fédérales pour la moitié de son budget.
«Les subventions sont des coussins de sécurité. Sans elles, l’évènement n’aurait pas la même envergure», relève Blanche Israël.
À ses yeux, réduire la taille de l’évènement à son «potentiel purement commercial» n’aurait aucun sens. «Ce serait possible, mais pas désirable, la culture vaut beaucoup plus que cela.»
Elle prend l’exemple des États-Unis, où les financements publics sont réduits au minimum dans le secteur musical. Résultat, la rentabilité guide le choix que font les artistes.
«Ils créent leurs œuvres comme des produits commerciaux. C’est plus du divertissement que de l’art à même de questionner notre époque», regrette Blanche Israël.
«On ne peut pas limiter la culture à son utilité économique. On doit aussi prendre en compte son impact sur la cohésion sociale, le bienêtre, la santé mentale, autant de choses qu’on ne peut pas monétiser», renchérit la directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin, en entretien avec Francopresse.
S’ouvrir à d’autres auditoires
Au Manitoba, l’ancien directeur général du Festival du Voyageur, Darrel Nadeau, a également été confronté au dilemme qui semble opposer rentabilité et épanouissement de la culture.
Entre 2017 à 2023, il a fait le choix d’élargir la programmation de l’évènement francophone à des artistes anglophones et d’autres langues. Sous sa direction, seulement la moitié des musiciens qui se sont produits sur scène étaient d’expression française. L’objectif alors affiché était clair : attirer plus de monde pour engendrer plus de recettes.
«Dans l’Ouest, si on restreint les activités à un auditoire exclusivement francophone, l’impact est limité. Ce n’est pas soutenable financièrement sans dépendre totalement des subventions publiques», assure celui qui est aujourd’hui responsable de l’expérience de visite au Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg.
Autrement dit, pour générer des retombées économiques, «il faut s’ouvrir à d’autres communautés, aux anglophones», poursuit Darrel Nadeau en entrevue avec Francopresse.
Dans des zones où le potentiel économique de la culture en français est plus limité, Marie-Christine Morin voit dans l’ouverture prônée par Darrel Nadeau, «une manière de créer des échanges et de faire découvrir au plus grand nombre l’identité francophone».
Les chiffres semblent leur donner raison : le Festival du Voyageur génère désormais quelque 8 millions de dollars de retombées annuelles. Son incidence non négligeable a retenu l’attention des bailleurs de fonds et des commanditaires privés qui n’ont pas hésité à multiplier leurs contributions, rapporte Darrel Nadeau.
L’inflation qui menace
Le risque d’anglicisation du Festival a cependant fait l’objet de vives critiques. À cet égard, Darrel Nadeau reconnait volontiers «les tensions» et le risque «de perdre l’âme francophone».
«Il n’y a pas de formule parfaite. C’est un difficile compromis à faire entre la préservation de l’authenticité culturelle, l’épanouissement de la langue française et la volonté de faire des profits», analyse le Franco-Manitobain.
Un avis que partage Blanche Israël : «Il faut trouver un juste milieu entre l’argument économique, directement mesurable, et le besoin de protéger les artistes francophones pour qu’ils ne se fassent pas avaler culturellement.»
Cet équilibre est de plus en plus délicat à trouver depuis la pandémie de COVID-19. La crise inflationniste qui a suivi a provoqué une explosion des couts de production, éloignant d’autant les espoirs de rentabilité, estiment les spécialistes.
«Le trou en termes de revenus est vraiment dur à combler, alerte Darrel Nadeau. Il y a de plus en plus de pression pour que les évènements s’autofinancent, car les subventions gouvernementales n’ont pas augmenté depuis dix ou quinze ans.»
De nombreux évènements francophones cherchent à résoudre la quadrature du cercle : ils tentent d’augmenter les prix des billets pour se maintenir à flot sans pour autant faire fuir le public. Un véritable exercice d’équilibriste.