C’est le crépuscule lorsque j’entends siffler ma tante depuis le portique de l’entrée de sa maison, où nous logeons pour les vacances d’été. Nous devons nous empresser de rentrer chez elle avant qu’il ne soit trop tard. Après avoir passé toute la journée dehors dans la cour à jouer au umupira (soccer en kinyarwanda) avec mes cousins, nous nous affalons sur le canapé en nous rafraîchissant avec une boisson gazeuse au citron. J’aime la vie au Rwanda!
Après quelques minutes, j’allume la télévision et voilà l’escarmouche déclenchée. «Aya de Yopougon!» «Non! Regardons Les Sisters!» «Je veux voir Kirikou!» Mes cousins et moi nous disputons pour savoir ce que nous allons regarder à la télévision avant de nous coucher.
Finalement, nous optons pour Tom et Jerry, ces deux affreux qui se chamaillent à chaque instant. Un programme qui conviendra à toutes les tranches d’âge de notre groupe. Cela fait très longtemps, mais je me souviens très bien de cet épisode en anglais, Heavy Booking, datant de 1980.
Hilda, ce «sacré» personnage
L’action prend place dans une bibliothèque municipale. Hilda, la bibliothécaire en surpoids, caractérielle et maladroite, se voit confier un bébé qu’elle doit garder pendant qu’une mère fait ses courses. Mais Hilda s’est assise à son bureau et décide de faire une sieste.
Dans cet environnement calme et studieux, deux protagonistes s’échauffent : Tom, le chat gris un peu pataud, et Jerry, la petite souris brune maléfique. Ils sont toujours en conflit et ils se divertissent de leur nature animale en jouant au chat et à la souris.
Hilda est réveillée par les pleurs de ce bébé qu’elle est censée surveiller. Pour elle, ce réveil brutal est la faute de Tom, trop bruyant. Mais, en vérité, c’est Jerry qui dérange. Lorsqu’elle dort, la petite souris joue du tambour, jette des livres et mange bruyamment. De plus, Jerry se divertit de la souffrance qu’il lui inflige.
En me remémorant cet épisode, je me mets à détester Hilda. Elle a une voix hargneuse et parle des deux côtés de la bouche. Elle dit quelque chose, mais fait le contraire! C’est une hypocrite! Elle dit qu’elle va surveiller le bébé, mais elle préfère dormir. Elle ordonne constamment à Tom de se taire, alors que c’est elle qui est la plus bruyante en lui criant dessus d’une voix odieuse.
Pour éviter d’autres ennuis, Tom avale brièvement le tambour que Jerry utilisait pour faire du bruit. Elle traite Tom de «ventre gras!», alors qu’elle-même ressemble à une baleine échouée, si je peux m’exprimer ainsi.
Hilda et la politique, sentiment concordant
Tout comme Hilda, les acteurs des systèmes politiques maîtrisent l’hypocrisie. Nos dirigeants édictent des lois et des politiques, mais font souvent le contraire. Attention, je ne prétends pas que c’est généralisé, mais…
Prenons par exemple les États-Unis. Là-bas, en fonction des États, le droit de vote d’une personne peut être suspendu ou retiré temporairement à la suite d’une condamnation pénale, mais cela varie d’un bout à l’autre du pays.
Si un Américain est condamné d’un crime dans les États de l’Iowa, du Kentucky et de Floride, il lui sera interdit de voter à vie. Priver un citoyen de son droit de vote à vie me semble avoir de graves conséquences sur un citoyen.
Une peine de prison ou une condamnation pénale rendent-elles une personne mentalement déséquilibrée à tel point qu’elle est incapable de faire des choix éclairés? Les citoyens «gentils et bien élevés» sont donc ceux qui ont le droit, ou dois-je dire le privilège, de voter?
Donald Trump, qui a été le 45e président des États-Unis de 2017 à 2021, a récemment été reconnu coupable de 34 chefs d’accusation par un jury de New York. Il est coupable de falsification de dossiers commerciaux, soit de fraudes comptables qui ont été effectuées dans le but de dissimuler une relation extraconjugale des plus douteuses, et ce, avant les élections de 2016.
Cependant, il a toujours le droit de se présenter aux élections présidentielles et donc de prêter serment. Une occasion solennelle où il va témoigner devant Dieu qu’il a sincèrement l’intention de tenir sa parole en devenant le 47e président des États-Unis. Qui plus est, il a aussi le droit de vote en Floride, là où il réside. Vive la démocratie américaine!
Et le Canada? Avons-nous deux poids, deux mesures?
Tout d’abord, il est important de comprendre la structure de la répartition du pouvoir à travers notre pays. «L’État fédéral réunit plusieurs collectivités politiques différentes. Un gouvernement central s’occupe des questions communes à toutes les composantes de l’État, tandis que des administrations “provinciales” (…) se chargent des objectifs propres à chacune.» Donc, différentes provinces peuvent adopter des politiques conformes à leur population.
Ceci étant dit, je me rappelle de la Loi 21 ou Loi sur la laïcité de l’État du Québec adoptée en 2019. La loi interdit aux employés de l’État et aux enseignants le port de symboles religieux, tels que le hijab, le turban ou la kippa. Pour une mise en contexte, l’Église catholique a été active dans la fondation et le passé du Québec. Il était responsable des hôpitaux, des écoles et de plusieurs institutions sociales. Mais aujourd’hui, l’État du Québec est laïque, c’est-à-dire qu’ils visent à séparer le gouvernement de la religion.
Cela peut être une bonne chose : aucune religion n’est favorisée, la morale religieuse ne dicte pas les choix du gouvernement et les symboles religieux sont interdits afin de respecter la neutralité.
Mais la Loi 21 n’est-elle pas finalement discriminatoire et exagérée? Elle rend difficile l’intégration des minorités religieuses dans la société québécoise. La Loi ne peut-elle pas être considérée comme exclusive et même xénophobe? Oui, le Québec peut faire ses propres lois, mais n’est-ce pas en contradiction avec notre Charte canadienne des droits et libertés qui nous assure la liberté de pensée, de croyance et d’expression?
Quoi qu’il en soit, les acteurs politiques devraient cesser cette hypocrisie – tout comme Hilda. Les États-Unis laissent un criminel se présenter à la présidence, mais n’autorisent pas les délinquants à voter. Le gouvernement du Québec fait la promotion de la neutralité, mais ne semble pas respecter la diversité religieuse.
Finalement, les politiques ne valent pas mieux que Hilda qui accepte de faire du babysitting, mais préfère dormir. Et si les systèmes politiques arrêtaient de jouer à ce jeu et commençaient à être moralement cohérents, cela aurait-il un impact?
Glossaire – Solennel : Célébré en public avec éclat, qui est accompagné d’un cérémonial imposant