Cette chronique jeunesse comporte deux volets. Retrouvez le second dans l’édition papier du 5 octobre 2023.
Prématernelle. J’ai 5 ans. Mes cheveux sont coiffés en nattes avec beaucoup de barrettes, d’élastiques colorés et d’un ruban rose. Mon physique élancé de suricate porte une robe bouffante et un sac à dos Dora. Tout en rose, on dirait la Panthère du même nom.
J’entre, telle une somnambule, dans le bus scolaire. J’ai les yeux dans la graisse de bines et je m’écroule dans mon siège. Inhabituel…
La placoteuse est grincheuse. Ces mioches à mes côtés le remarquent et commencent à me tirer les vers du nez. Argh! On me touche l’épaule pour me ranimer et je réagis avec férocité. Ma violente réprimande déclenche des hurlements qui vont jusqu’aux contacts physiques (mot courtois) .
La veille…
Ma sœur, Kristy, a du mal à respirer. On doit l’emmener à l’hôpital! Cela signifie aussi que j’aurai toute la chambre pour moi. Seule. Dans la nuit. Dans le noir. Ma frayeur. Je fais plusieurs allers-retours pour demander à mon père quand elle va revenir.
Mon anxiété est à son maximum. Pour couronner le tout… elle se fait opérer et va passer quelques jours à l’hôpital.
Depuis, plus de disputes dans le bus à cause du manque de sommeil. Il y a bien longtemps que je me suis bagarrée dans l’autobus.
Pourtant, mes parents ne cessent pas de me rappeler cette anecdote lorsque je tarde à me coucher. Chez nous, l’habitude est de se coucher tôt. Au plus tard, 21h, heure «normale des Rocheuses (HNR)», comme le précise mon père.
Il y a bien sûr des exceptions. Vacances, temps des fêtes ou des visites.
Cependant, j’ai eu cette heure du coucher dès le primaire. Ne suis-je pas assez grande pour aller me coucher quand je veux? J’ai essayé de convaincre mes parents, mais leur réponse est toujours la même : 21h, heure «normale des Rocheuses (HNR)».
J’ai fait des recherches sur la privation du sommeil et je veux savoir si les effets sont aussi graves qu’on le dit. Je suis toujours pleine d’énergie même si je me couche tard. Pour ma chronique, j’ai demandé l’autorisation à mes parents de me coucher à l’heure qui me tente.
Ça alors… autorisé!
Que l’expérience commence…
Jour 1 : 21 h. «Bonne nuit», ricane ma famille qui part se coucher. Comment passer le temps? Je suis seule à table pour ne pas m’endormir sur le canapé. Je découvre de nouveaux sons. Les jappements du chien voisin, le klaxon d’alarme d’une automobile et les gouttelettes d’eau du robinet qui s’écrasent dans l’évier. Je décide de tuer le temps en lisant. À presque 3h du matin, je me réveille avec mon livre comme oreiller.
Le lendemain à l’école, je me suis sentie tendue. J’ai été surprise de ne pas déclencher une dispute avec un autre élève. C’était hyper difficile de me concentrer sur les leçons.
Jour 2 : Je ne vais pas me laisser abattre. Après tout, hier, était-il possible que j’aie fait un mauvais choix de livre? Romeo and Juliet de Shakespeare! En effet, je devais faire un travail d’anglais le lendemain et je pensais être productive.
Il a fallu donc trouver une meilleure stratégie pour rester éveillée. On a tous entendu parler de l’efficacité du café ou des boissons énergisantes, mais je sais bien que ce n’est pas permis chez nous.
Une deuxième «drogue anti-sommeil» a été considérée : le thé. Ça, j’en ai bu un peu trop. Mais surprise, ça n’a pas beaucoup aidé. Le lendemain à l’école, ma journée s’est résumée en des paupières lourdes, un manque d’énergie et une tête douloureuse. Je voulais savoir pourquoi la caféine n’avait pas joué ce rôle tant attendu. J’ai lu l’étiquette : thé décaféiné.
Jour 3 : Irritée. J’ai envie de ne rien faire et de dormir tout le temps. Mes pensées partent vers mes camarades de classe qui se vantent de dormir peu. On les connaît tous. Les gamers, les passionnés de Roblox et les tiktokers. Mais mes pensées ne s’arrêtent pas là. Je songe à ma voisine, infirmière, qui travaille de nuit à l’hôpital, aux ambulanciers, aux conducteurs de taxis et bien d’autres.
Je suis consciente de la cause; néanmoins, mes parents m’ont finalement convaincue de laisser tomber mon projet à cause des examens.
Puisqu’en trois jours, j’étais totalement épuisée, je me suis demandé ce qui me serait arrivé si j’avais intégré ce manque de sommeil dans ma vie à l’aide du café, de boissons énergisantes ou d’autres subterfuges. C’est alors que j’ai décidé de creuser un peu plus.
Sur Internet, j’ai trouvé une foule d’informations (bien effrayantes) sur le sommeil (ou son manque), mais ce n’était pas tellement convaincant.
Par la suite, j’ai décidé de contacter les experts pour en savoir plus. Après tout, qui connaît mieux la science du sommeil que Mme Manon Lamy? Elle est la coordonnatrice d’une équipe de recherche de l’Université Laval dont le projet est le traitement psychologique de l’insomnie.
Je suis vraiment reconnaissante qu’elle m’ait répondu. Elle m’a gentiment orienté vers Amélie Vézina et Sarah Fakroune, des étudiantes au doctorat au Centre d’études des troubles du sommeil (CETS). Oui! Cela existe vraiment, à l’Université Laval, à Québec! Elles ont répondu en détail à mes questions.
On m’a prouvé que mes parents avaient tristement raison. Il est dangereux d’avoir peu d’heures de sommeil en se couchant tard le soir. Je sais, je sais, j’arrive à la partie intéressante, mais il est déjà 21h! Alors, je vous souhaite une bonne nuit. J’espère que vous demeurerez attentifs (avec l’aide d’un sommeil réparateur au quotidien, bien sûr) à ce que je vous expliquerai dans la 2e partie de cette chronique à paraître prochainement.
À suivre.
Glossaire – Suricate : petit mammifère carnivore sud-africain de la famille des viverridés, voisin de la mangouste