le Vendredi 26 avril 2024
le Jeudi 5 mai 2022 9:00 Edmonton

L’obésité, un problème de taille

Dre Julie L. Hildebrand exerce en médecine familiale à Edmonton. Bilingue, elle est très heureuse de pouvoir répondre aux besoins de la francophonie plurielle de la capitale provinciale. Spécialiste du diabète, des dépendances et de l’utilisation du cannabis thérapeutique, elle privilégie la prévention et l’éducation.
L’obésité, un problème de taille
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L’obésité est devenue une problématique en constante croissance, non seulement dans les pays industrialisés, mais aussi dans les pays défavorisés. Au niveau planétaire, le nombre de cas aurait triplé depuis le milieu des années 1970, selon l’OMS. Alors que ce mal s’attaquait principalement à la population adulte, il est désormais répandu chez les enfants et les adolescents.

À l’heure actuelle, il est estimé qu’un jeune canadien sur quatre présente un surpoids. En 2015, le Canadian Health Measures Survey affirme que le tiers des adultes canadiens étaient obèses. De nos jours, le surpoids réclame davantage de vies que l’insuffisance pondérale occasionnée par la famine.

L’obésité se définit comme une accumulation anormale ou excessive de gras corporel, laquelle peut entraîner des répercussions négatives sur la santé. En effet, les cellules adipeuses ont la capacité de sécréter des hormones ainsi que des promoteurs inflammatoires. L’indice de masse corporelle (IMC) est l’outil de mesure le plus communément utilisé quoiqu’imparfait, car il ne tient pas compte de la morphologie, de l’âge, du sexe ou de la masse musculaire.

Dre Julie Hildebrand

Dre Julie Hildebrand

Il demeure toutefois un bon point de départ. Il est généralement reconnu qu’un IMC supérieur à 30 confirme un diagnostic d’obésité. Un IMC compris entre 25 et 29,9 est considéré comme de l’embonpoint alors qu’au-dessus de 40, il convient de parler d’obésité morbide.

Mais attention, une mesure d’IMC n’évalue pas le niveau de santé! À cet égard, le tour de taille se veut un meilleur indicateur, car la quantité de gras abdominal est associée à l’apparition de maladies telles que le diabète, l’hypertension, la stéatose hépatique (foie gras), certains cancers et les maladies cardiovasculaires. Aussi, la limite à ne pas dépasser pour les Européens et Nord-Américains de souche se situe à 94 cm pour les hommes et 80 cm pour les femmes. Le système par excellence pour évaluer les impacts sur la santé de l’obésité est le Edmonton Scale.

L’obésité est une maladie

Il incombe de reconnaître l’obésité en tant que maladie chronique évolutive. Elle va bien au-delà de la simple inadéquation entre le nombre de calories ingérées et la dépense calorique par l’exercice. Elle est dorénavant admise comme une maladie complexe, faisant intervenir des facteurs génétiques, comportementaux, anthropologiques, environnementaux et sociétaux. De 70% à 80% de notre IMC s’explique par notre bagage génétique. Le 20% à 30% restant est influencé par les facteurs environnementaux (psychosociaux, économiques, familiaux). Aux dires d’une équipe de chercheurs de Harvard, l’obésité serait «socialement contagieuse». Si une personne appartenant à un groupe se met à grossir, ses congénères (membres d’une même famille, amis, partenaires) auront tendance à en faire autant.

Rappelons-nous que l’homme préhistorique se devait de chasser et perfectionner la cueillette afin de se nourrir et qu’il se voyait plus souvent qu’autrement résigné à une diète hypocalorique. Aussi, en cours d’évolution, nous avons développé de performantes astuces métaboliques nous permettant de conserver l’énergie (calories) et non la perdre. Le corps tente par tous les moyens de conserver ses réserves de gras et donc sa masse maximale. Plus on tente de perdre du poids et plus cette mécanique se renforce.

Crédit : Andres Ayrton / Pexels

Crédit : Andres Ayrton / Pexels

Après une perte de 20-30 lb, le métabolisme tend à s’autoréguler à la baisse, ce qui rendra la perte de poids subséquente quasi impossible. De surcroît, les hormones responsables de la faim se mettront en branle afin que l’organisme se renfloue. Généralement toute perte de poids sera reprise dans un horizon de 4 à 7 ans, voire plus (effet yo-yo). C’est pourquoi on estime que le «meilleur poids» pour le patient est celui qui lui permet d’être actif et de profiter de son meilleur potentiel de qualité de vie, tout en empêchant la reprise d’une perte de poids modeste. La perte de 5% à 10% du poids corporel suffit dans bien des cas à inverser l’apparition de maladies métaboliques.

Compte tenu de la difficulté quasi programmée à perdre du poids, notre meilleur allié demeure la prévention. Donc prudence! Il est facile d’appuyer sur la gâchette de la stigmatisation envers les individus qui souffrent d’embonpoint. Toutefois, se doit-on de comprendre que leur condition est autrement plus ardue à résoudre. Certains de mes patients se sont astreints à tellement de régimes au cours de leur existence que leur métabolisme de base s’est abaissé à un seuil où ils peuvent prendre du poids malgré un régime à faible teneur calorique, leur fournissant à peine ce qu’il faut pour maintenir leurs fonctions biologiques de base.

Certes, nos sociétés modernes ont encouragé la réduction du temps consacré à la préparation des repas. Il est plus aisé de s’approvisionner en fast food et plats préparés, contenant des quantités importantes de sucres, sel et gras, tout en regardant la télé, que d’aller cueillir des légumes dans son jardin. Le travail s’est davantage sédentarisé (station assise). L’urbanisme et les modes de transport ont encouragé le manque d’activité physique. Le stress et la carence de sommeil imposent au corps de se tourner vers des sources alimentaires hypercaloriques. La surutilisation d’antibiotiques à large spectre et d’hormones de croissance dans l’élevage a contribué à l’appauvrissement de notre flore intestinale (qui nous protégeait contre l’obésité).

Les quatre M de l’obésité

Donc, il est facile d’envisager que l’obésité soit une problématique à multiples équations. Cela dit, il ne faut pas baisser les bras. Les conséquences associées à l’obésité sont non négligeables. Un décès prématuré sur 10 parmi les individus âgés de 20 à 64 ans est attribuable à l’obésité. Obésité Canada parle des «4M» pour décrire les effets délétères sur la santé ainsi que la qualité de vie des individus obèses.

Au niveau mental, les obèses souffrent davantage de dépression, d’anxiété, de troubles alimentaires (anorexie et boulimie), d’isolement et de manque d’estime de soi. Ils sont aussi malheureusement victimes de discrimination (stéréotypes négatifs).

Au niveau mécanique, songeons à l’impact du surpoids sur les différentes articulations et parties anatomiques et à l’induction des processus inflammatoires (ostéoarthrite, apnée du sommeil, aggravation de l’asthme, reflux gastro-oesophagien, incontinence urinaire et fécale).

Pour ce qui est de l’aspect monétaire, mentionnons seulement qu’aux patients obèses, le niveau d’équité en matière d’accessibilité à l’emploi et aux études n’est pas le même. À ce fardeau financier s’ajoutent plusieurs frais pour l’achat de vêtements de grande taille, de pièces d’équipement pour favoriser la mobilisation, ainsi que l’inscription à des programmes visant la perte de poids.

Sur le plan métabolique évidemment les impacts sont cinglants (diabète, hypertension artérielle,dyslipidémie, maladies cardiovasculaires, AVC, cancers de divers types, goutte, infertilité, maladies du foie et de la vésicule biliaire, une plus grande susceptibilité aux maladies infectieuses dont la COVID-19).

Il va sans dire que les coûts sociétaux directs et indirects associés à l’obésité montent en flèche. Les projections pour les coûts directs sur le système de santé canadien en 2021 s’élevaient à 9 milliards de dollars. La recherche s’intensifie afin d’élucider les multiples mécanismes menant à l’obésité. Quelques médicaments existent sur le marché pour favoriser la perte de poids en concomitance avec un régime alimentaire sain, des changements de comportement et un programme d’exercice. En dernier lieu, la chirurgie bariatrique peut être envisagée.