Il avait survécu à un accident d’avion en 1988. « On l’a presque perdu cette année-là, mais c’était trop tôt », indique Lucie. C’est 33 ans plus tard qu’elle doit définitivement faire ses au revoir à son père emporté par la COVID-19 ce 5 janvier. À Edmonton, Jacques Bernier était un radiologue francophone renommé. Engagé, généreux, il laisse derrière lui sa contribution à la fondation du club Jean Patoine.
« S’il y a un trait qui m’a toujours frappé chez lui, c’était sa générosité d’esprit. Il était très ouvert, recevait tout le monde, un homme de famille très dévoué, un homme de conviction », se souvient Hervé Durocher, président de l’ACFA de 1975 à 1977, aujourd’hui avocat à la retraite. Les deux hommes s’étaient rencontrés sur le comité exécutif de l’ACFA.
En 1970, les deux hommes avaient participé ensemble à la création d’une antenne du club Richelieu pour les jeunes francophones d’Edmonton. À l’époque, ils étaient une vingtaine, dont le père Jean Patoine qui cédera son nom au club lors de son changement de nom en 2001. Jacques Bernier a occupé à deux reprises la présidence du club. D’abord de 1972 à 73, puis de 1992 à 1999. « Il a été là dès le début, jusqu’à la fin, il a toujours été membre », raconte monsieur Durocher.
Le club Jean Patoine fêtait l’année dernière ses 50 ans. Sa mission est toujours la même : aider la jeunesse par la fraternité, ou par des fonds. Depuis sa création, plus d’un million de dollars sous forme de bourses ont été attribués à des étudiants du Campus Saint-Jean grâce au fonds commémoratif Jean Patoine. « Jacques a été le premier signataire de ce fond », affirme Ken Shields, président actuel du club, qui regrette cet homme « aimé de tous et qui aimait beaucoup la vie ».
Médecine en famille
Jacques Bernier a vécu sa propre jeunesse à Lambton, un petit village au sud de Québec. Il étudie la médecine à l’Université de Laval avant de s’engager dans l’armée. Il est déployé trois ans en Allemagne où naîtra Hélène en 1959, l’une des six enfants de son union avec Claire, une infirmière qu’il avait rencontrée quelques années plus tôt, la femme de sa vie. Comme pour perpétuer une tradition familiale, tous leurs enfants ont fait une carrière dans le domaine médical.
De retour au Canada, à Kingston en Ontario, il se spécialise en radiologie. « Il voulait être chirurgien, mais l’armée avait besoin de radiologues à cette époque », se rappelle l’une de ses filles, Lucie Bernier-Lycka, qui avait assisté à sa graduation.
Pour effectuer ces dernières années de service dans l’armée, Jacques est affecté à Edmonton en 1965. Lui et sa grande famille vivent quatre ans sur la base militaire. Une fois civil, il s’installe à côté de la paroisse Saint-Joachim, pour laquelle lui et sa femme ont donné beaucoup de leur temps. Jacques Bernier passe deux ans au Cross Cancer Institute et lance son entreprise de radiologie Mason Bernier and Associates. Aujourd’hui, l’entreprise s’appelle Insight Medical. Ces 220 salariés génèrent un chiffre d’affaires annuel de près de 90 millions de dollars canadien.
Éric Préville, président de la Fondation franco-albertaine et lui aussi radiologue, a travaillé 35 ans à ses côtés. « Jacques était toujours un type généreux, très accueillant, très apprécié par ses collègues de travail et ses employés, il les connaissait par leur nom, il s’intéressait à leur famille, il avait toujours un bon mot à dire », se souvient-il. Cette générosité, Lucie, la fille de Jacques, n’en doutait pas. D’autant plus en ouvrant la boîte aux lettres de son père quelques jours après son décès. « J’ai découvert qu’il parrainait un enfant au Philippines. Il donnait de l’argent tous les mois pour ces études ».
Un accident d’avion
Lucie se rappellera longtemps du Noël 1988 que son père avait passé à l’hôpital. En décembre de cette année, une équipe de radiologues s’envole vers des villages excentrés de l’Alberta. En plein vol, le moteur s’arrête. Quatre personnes sont à l’intérieur dont Jacques Bernier. L’avion s’écrase, aucun mort, mais tous sont gravement blessés. Ils parviennent alors à appeler les secours avec la radio de l’appareil, étrangement restée intacte selon Lucie.
« Les secours arrivent, mais ne peuvent évacuer que deux personnes. Ils ont laissé mon père à l’arrière de l’avion. En plein hiver, dans le froid, il entendait les cris des loups juste à côté ». Malgré les douleurs aux jambes et au dos laissées par cet accident, Jacques prenait plaisir à raconter cette histoire à ses arrières petits enfants.
C’est d’ailleurs à Pigeon Lake où il possédait une maison, des parcelles au bord du lac, deux bateaux et un quad, que Jacques aimait passer du temps avec eux. Une résidence où les séjours familiaux et entre amis étaient fréquents, à tel point que ses proches la surnommèrent « Bernierville ». « C’était un homme très généreux, insiste Hervé Durocher, il n’hésitait jamais à partager ce qu’il avait ».
L’année dernière, le radiologue de 90 ans à la retraite depuis une dizaine d’années assistait encore une fois à une téléconférence internationale de radiologie. « Il souhaitait s’informer, m’avait-il dit. Il était très à l’aise avec la technologie. Après ça, il m’avait dit “ce COVID là, c’est une terrible maladie qui fait beaucoup de dégâts au corps ‘’ », se souvient Lucie.
Jacques Bernier laisse en deuil plusieurs familles, celle qui l’a fondé avec sa femme décédée en 2012, surtout, mais aussi celle du corps médical ainsi que la grande famille des francophones d’Edmonton.