Élyse et Venice sont deux jeunes mamans amoureuses depuis 17 ans. L’une a donné naissance à Anastasia, l’autre à William. Deux bouts de choux qui grandissent aujourd’hui dans une maison où seul le bonheur a sa place. Entre doutes et certitudes, l’amour ressort toujours vainqueur.
« Être maman, avoir des enfants, impossible de dire quand nous avons eu cette idée ! C’était juste la prochaine étape dans notre vie de couple », évoque Élyse. Il faut dire que le temps passe. Les deux jeunes femmes se sont connues au secondaire et ne se sont jamais quittées.
« Nous devions trouver un géniteur. Nous avons donc fait le tour de nos amis, des connaissances, des amis d’amis, mais le doute s’est installé », dit-elle. Malgré des textes de loi clairs sur la filiation en Alberta, les rumeurs perçues dans la communauté LGBTQ+ les ont dirigés vers une autre solution.
Elles choisissent donc de trouver un donneur aux États-Unis. « Au Canada, il est interdit d’acheter du sperme et nous voulions savoir qui serait le donneur ». Venice a porté leur premier enfant; le donneur ressemblait physiquement à Élyse, avec les qualités de l’une et l’autre ». Celui-ci fut finalement le géniteur de leurs deux enfants. C’était important qu’« Anastasia et William soient frère et sœur de sang quelque part ».
À chacune ses rôles
Lors de la grossesse de Venice, Élyse entamait elle aussi son protocole pour devenir maman. « Pour Venice, l’insémination naturelle (in vivo) n’a pas fonctionné, elle a dû recourir à la Fécondation in vitro », explique Élise. De son côté, elle a fait le choix de recourir directement à la fécondation in vitro et éviter ainsi certaines erreurs de la première grossesse.
Leur première fête des Mères, Élyse s’en souvient très bien : « nous étions toutes les deux maganées ». La petite Anastasia ne faisait pas ses nuits, Élyse s’occupait des biberons. Elle travaillait le jour, pendant que Venice récupérait d’un accouchement compliqué. Un an plus tard, Élyse donne naissance au petit William.
Si la fête des Mères risque d’être bien plus agréable cette année, Élyse reçoit cet événement à bras ouverts. « Être maman, c’est ma plus grande réussite, c’est tout le bonheur du monde ! »
Si aujourd’hui, son amour inconditionnel pour ses deux enfants est le même, sa sensibilité à l’un et l’autre est différente. « Avec William [son fils naturel], la connexion est différente. De petites choses anodines… », essaye-t-elle d’exprimer.
Elle s’amuse aussi de voir Anastasia venir se rassurer dans ses bras, alors qu’elle donne l’exclusivité des câlins à Venice. « La perspective de l’enfant est elle aussi différente. Je dois peut-être plus facilement jouer le rôle de l’homme à force de me l’entendre dire », suppose-t-elle, en riant.
Elle souligne d’ailleurs que les rôles sont partagés, mais que c’est elle qui change l’huile de la voiture et fait les rénovations dans la maison !
L’avenir dans un monde où l’homophobie n’est pas un mirage
Lorsqu’elle évoque les prochaines années d’école d’Anastasia et William, le cœur d’Élyse se serre. « C’est une peur atroce de savoir qu’un jour ils vont réaliser qu’ils ont deux mamans, et que ce n’est pas la norme. »
Ancienne professeure des écoles, elle appréhende le jugement des jeunes et des adultes. « Lorsque j’ai annoncé mon homosexualité à ma famille, les réactions ont été mitigées », explique-t-elle. D’un côté, elle a vu l’enthousiasme, de l’autre la réticence.
« Si les personnes que j’aime ont ces réactions, qu’est-ce qu’une société qui ne connaît pas nos valeurs va faire de mes enfants. » Elle se désole de savoir que son amour pour Venice risque de confronter leurs enfants aux jugements.
Elle évoque une certaine culpabilité, sachant très bien que, malgré tout l’amour qu’ils reçoivent, elle ne pourra les protéger contre le regard des autres, « seulement les éduquer ». Venice, sa compagne originaire des Philippines, est plus réservée sur cet avenir, « ma conjointe, elle, préfère attendre, voir ce qu’il se passe et réagir ». Une approche différente qui permet un certain équilibre dans le couple.
Celle qui semble avoir déjà perdu un emploi à cause de sa situation maritale reste inquiète. Elle n’a pas oublié ce qu’il se passait dans les couloirs des écoles. « J’ai été témoin de certains comportements inacceptables », dit-elle attristée. Elle cite pêle-mêle « un enfant battu dans les toilettes parce qu’il est “gay”, d’autres bombardés de messages haineux sur les réseaux sociaux, incitant parfois au suicide ».
Une situation qu’elle explique notamment par l’environnement politique de l’Alberta, ou la position du catholicisme dans la sphère privée des citoyens.
Amitié, amour, et éducation pour remparts
« En secondaire, j’ai eu la chance d’être protégée par mes amis. Aujourd’hui, rien n’a changé. Sans eux, je ne serais pas la personne que je suis ! » Elle se souvient d’ailleurs de ces moments où elles leur ont annoncé leur désir d’enfants, « cela a été une effusion d’amour, de joie et de fierté pour tout le monde ! »
Quant à son frère d’adoption, Raphaël, « l’homme, le vrai », elle appréhendait sa réaction. Compréhensif et disponible sans excès, il est devenu très vite un mononc’ gâteau, comme son autre frère Alex, lorsqu’il a pris Anastasia dans ses bras pour la première fois.
Elle en conclut qu’il faut « s’entourer des bonnes personnes et ne pas avoir peur de faire des choix ». Très optimiste pour les générations futures, elle insiste sur l’importance de l’éducation et surtout sur la capacité de chacun à faire ces choix de façon éclairée. « Aujourd’hui, les jeunes qui font leur “coming-out” sont informés et très soudés entre eux ». C’est essentiel.
« Tout ce que je suis, je le dois à ces générations d’avant qui se sont battues pour leurs droits et mes enfants pourront, je l’espère vivre encore mieux. »
Pour des raisons de respect de la vie privée le nom de famille d’Élyse n’est pas révélé.