Je m’habille de mon pyjama préféré illustré de licornes et je m’en fiche qu’il soit usé à force d’être porté. «Mama!», criai-je quelques fois de ma chambre. «Ndaje! J’arrive!» rétorque-t-elle, elle aussi, dans ma langue maternelle, le kinyarwanda. Un indicateur de son exaspération! Pourtant, je peux justifier que je ne peux pas m’endormir.
Avant de dormir, c’était une habitude que mes parents me lisent une histoire. Elle arrivait (enfin!), un livre à la main. Imvugo Idasanzwe est écrit par Ibrahima Ndiaye, illustré par Capucine Mazille, et on pourrait en traduire le titre en kinyarwanda, dans ma compréhension de l’époque, par «La formule magique».
Je suis accompagnée vers le sommeil dans un folklore africain au pays de Farafina. Ce pays est frappé par une sécheresse et la famine s’installe chez la faune sauvage. Tous les animaux craignent de mourir de faim et décident donc de partir à la recherche de nourriture. Ils tombent sur le marula. L’arbre magique. Le marula ne donne ses fruits que si les animaux récitent une phrase longue et compliquée. Je n’ai pas pu en partager les fruits avec les animaux de la savane, j’ai sombré dans le sommeil dès les premières pages.
Ai-je encore droit à des histoires à l’heure du coucher?
Oui et, pourtant, on ne m’en lit plus.
Le nouveau rat de bibliothèque
Après avoir appris à lire au primaire, j’ai toujours eu «des histoires à l’heure du coucher». Patrick l’étoile, celui du reflet dans le miroir, passait son temps dans les livres. Lorsque nous avons appris à lire, mes camarades et moi-même étions émerveillés par le nouvel accès à l’information dont nous disposions.
Des rimes accrochantes du Dr Seuss, auteur pour enfants à succès (Le Lorax, Le Grinch, Le Chat chapeauté), aux livres classiques de Roald Dahl comme Charlie et la chocolaterie m’ont envoûtée. Dans ce dernier, j’y accompagnais ce jeune héros durant la visite de la meilleure et la plus grande chocolaterie du monde. Très divertissant!
On pensait qu’il n’y avait rien de mieux que de se projeter dans les livres.
Au secondaire, ma passion pour la lecture est restée intacte. J’ai découvert des romans dystopiques tels que Nozophobia de Mathieu Fortin. Dans celui-ci, la population est contrôlée par sa phobie de tomber malade due à la dictature de la santé parfaite imposée par le gouvernement. Ça me rappelle la pandémie de COVID-19!
J’ai aussi pu remonter dans le temps, lors de la Deuxième Guerre mondiale, grâce au Journal d’Anne Frank. Je suis passé par la vie d’une adolescente juive pendant l’Holocauste en apprenant comment elle et sa famille se cachaient. J’ai partagé ses intérêts et son ennui; j’avais l’impression de créer une amitié avec elle, une amitié qu’elle aurait désirée ardemment malgré l’écart d’âge que nous avions lors de cette belle rencontre.
Malheureusement, mes nouvelles lectures ne peuvent pas être des sujets de conversation avec certains de mes camarades. Ils n’ont plus d’intérêt pour la lecture. À la bibliothèque, durant les pauses, c’est aujourd’hui une tout autre ambiance qui règne. Les passionnés de TikTok s’adonnent à leur «choré» de danse. Les gamers s’affrontent dans des jeux vidéos. D’autres, en revanche, bachotent en quelques minutes ce qu’ils doivent savoir pour leur examen. En fait, aller à la bibliothèque pour lire est désormais associé à l’étiquette du «rat de bibliothèque» ou de «l’intello». Parfois, j’ai honte de marcher dans les couloirs, un roman à la main.
Ce déclin de la lecture n’est pas unique à mon école. Selon Statista, un sondage en ligne mené au Canada en 2017 auprès des enfants de 6 à 17 ans montre que 50 % des 6 à 8 ans lisent pour le plaisir cinq à sept fois par semaine, alors que chez les 15 à 17 ans, ils ne sont plus que 25 %.
Je pense que nous savons tous ce qui nous empêche de lire. L’école, les devoirs, la procrastination, le sport, une p’tite job, le bénévolat, les relations amoureuses, les jeux vidéos et les réseaux sociaux sont de réelles excuses pour votre défense. La lecture vous semblerait une perte de temps.
À mesure que j’avance dans mes études, j’ai beaucoup plus d’exigences scolaires et moins de temps libre.
Et si j’arrêtais de lire?
L’abandon de la lecture s’accompagne d’une grande perte. Avec la lecture, j’ai rencontré des cultures et des mondes différents, du plausible comme de l’invraisemblable. De l’univers fantastique d’un jeune garçon qui visite une chocolaterie excentrique aux écritures de Anne Frank et de sa vie déchirée par la guerre, j’ai savouré mes nouvelles connaissances. Tout au long de mes lectures, je rencontrais aussi de nouveaux personnages auxquels je pouvais m’identifier ou avec qui je pouvais sympathiser. Valek, du livre Nozophobia, m’a inspirée par son comportement qui oscille entre se conformer aux «normes» ou piloter le changement.
Ces personnages me remontent le moral et m’aident à traverser les moments difficiles. Certains livres m’ont incité à la réflexion, à me remettre en question, ce qui a alors élargi ma façon de penser. Mais surtout, ces bouquins ont été des catalyseurs pour ma créativité. Je me suis permis d’imaginer et de créer. Cette créativité a contribué à rendre mon quotidien intéressant. En bref, les livres ont joué un rôle important dans mon épanouissement personnel.
George R. R. Martin, l’écrivain du célèbre Le trône de fer (Game of Thrones), – là, je vous mets au défi d’essayer de lire les livres plutôt que de regarder la série – avait raison en disant qu’«un lecteur vit mille vies avant de mourir. L’homme qui ne lit pas n’en vit qu’une».
Ne craignez pas d’être appelée une «bouquineuse»!
Glossaire – Dystopique : qui présente une vision cauchemardesque de la société, en opposition à utopique