Lorsque Mery Martínez a quitté la Colombie pour venir s’établir au Canada, en 1994, elle était loin de maitriser le français. Cela n’a pas empêché la jeune femme, alors âgée de 24 ans, d’aller faire une maitrise en biochimie des poissons à l’Université Laval, au Québec. Après un doctorat sur le même sujet et une escapade de deux ans en Louisiane pour un postdoctorat, Mery et sa famille se sont établis en 2004 à Sudbury, dans le Nord de l’Ontario, où ils habitent désormais depuis 18 ans.
Francopresse – Ericka Muzzo
Le programme de l’Université Laval n’était pas forcément le premier choix de Mery Martínez : «J’étais nerveuse parce qu’en tant qu’étudiante en biologie, je n’aimais pas la biochimie!» se rappelle en riant celle qui est aujourd’hui coordonnatrice de la maitrise et du doctorat en biologie à l’École des sciences naturelles de l’Université Laurentienne.
«Mais je me suis dit que si on ne fait pas face aux challenges que la vie nous apporte, on ne progresse jamais! Je me suis lancée tête première», se remémore Mery.
«C’était le boum de la morue, le déclin massif […] Finalement, j’ai appris à aimer la biochimie!» se réjouit l’experte en la matière, qui a par la suite réalisé son doctorat sur les capacités de nage de la morue «pour essayer de comprendre le déclin».
Un français «broche à foin»
C’est par l’intermédiaire de la mission permanente du Québec en Colombie, à Bogota, que Mery a pu trouver son premier logement dans la capitale québécoise.
«C’était dans la maison d’une dame qui enseignait l’espagnol au cégep, je suis restée chez elle pour une secousse et ensuite j’ai pris un appartement», explique-t-elle.
«Mon niveau de français était assez précaire! C’était vraiment un français de survie, broche à foin», s’esclaffe encore la biologiste, qui ne pouvait parler «qu’au présent».
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«Petit à petit, avec l’aide de mes collègues, mon français est devenu de plus en plus fluide. Je prenais des cours en même temps», ajoute Mery.
Durant ses études au doctorat, elle a rencontré son mari, Daniel, avec qui elle a eu un premier enfant – Mauricio, aujourd’hui âgé de 21 ans. Par la suite, la petite famille a quitté le Québec pour la Louisiane, aux États-Unis, mais ils n’y sont restés que deux ans : «On voulait à tout prix revenir au Canada.»
C’est donc sans hésitation que Mery a accepté une offre d’emploi à l’Université Laurentienne, où elle enseigne depuis.
Combattre les préjugés et l’ignorance
Ses premiers cours n’ont pas été de tout repos, se remémore Mery : «Au début, mon accent était un peu plus québécois parce que c’est là que j’ai appris le français. Je venais aussi de passer deux ans en anglais… Les étudiants me disaient qu’ils avaient de la difficulté à comprendre mon accent.»
Aujourd’hui, Mery sait d’expérience que les oreilles s’ajustent après quelques cours. «Je suis Colombienne de naissance. La dernière chose que je veux perdre, c’est mon identité, alors oui j’ai un accent! Comme tout le monde a un accent», rappelle-t-elle.
«La dernière chose que je veux perdre, c’est mon identité, alors oui j’ai un accent! Comme tout le monde a un accent.» Mery Martínez
Elle a également dû faire face à certains préjugés : «La Colombie est reconnue pour la drogue, toutes ces choses-là, donc tout le monde me posait des questions [par rapport à ça] […] Aussi, si on avait des ordinateurs!» rapporte Mery, incrédule.
«Au début, ça me frustrait et ça me fâchait beaucoup. Ça a changé depuis, c’est moins présent, mais de temps à autre il y a des commentaires. Je les prends plus comme de l’ignorance et une opportunité d’éduquer», explique-t-elle.
D’un autre côté, Mery a été agréablement surprise à son arrivée à Sudbury par la politesse des gens et par leur curiosité. «C’est un bon melting-pot, il y a plusieurs cultures qui enrichissent chaque ville, j’aime beaucoup ça!» fait remarquer celle qui a notamment voyagé à Terre-Neuve-et-Labrador, en Gaspésie, en Alberta, en Colombie-Britannique et à travers l’Ontario.
«C’est un bon melting-pot, il y a plusieurs cultures qui enrichissent chaque ville, j’aime beaucoup ça!» Mery Martínez
«Il y a encore des problèmes de racisme et de discrimination, mais je pense qu’on a plus de multiculturalisme qu’avant et que les gens s’entraident plus», observe-t-elle.
Le déclin de l’Université Laurentienne
Mery et son mari ont eu un deuxième enfant à Sudbury, Santiago, qui a 16 ans aujourd’hui.
Lui et son frère sont allés à l’école francophone publique : «Mauricio est arrivé avec un gros accent épais louisianais! C’était drôle au début», se remémore Mery. En quelques mois, il a très vite «adopté» l’accent nord-ontarien.»
Aujourd’hui, elle affirme sans hésitation que ses deux enfants ressentent un fort attachement à la francophonie canadienne. «Mauricio écoute beaucoup de musique francophone, c’est un artiste – il étudie le théâtre en français. Il veut revenir dans le Nord de l’Ontario pour travailler si possible et rester en français», explique Mery.
Son fils, qui étudiait à l’Université Laurentienne, a dû partir pour Ottawa lorsque son programme a été aboli dans le cadre de la restructuration de l’université en février 2021.
«Il lui manquait juste un an. Maintenant, il doit recommencer de zéro parce que le programme est différent», déplore la mère.
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Elle-même a conservé son emploi, mais demeure inquiète, d’autant plus que les demandes d’admission pour les programmes francophones de l’Université Laurentienne ont baissé de 52 % pour la prochaine rentrée scolaire. «J’imagine que ça va prendre quelques années pour rebâtir ce qui a été chambardé en si peu de temps», regrette la professeure.
«L’ambiance est très morne […] Ce n’est pas facile des fois de garder le moral. Les étudiants posent des questions et on ne sait pas exactement quoi leur dire – on ne veut pas non plus les démoraliser, mais les protéger un peu. En même temps, ils ont le droit de savoir», réfléchit Mery.
Elle ajoute que l’an dernier, lors de l’annonce des compressions, «une grande partie de mon temps à chaque cours était de discuter de ça. C’était très difficile».
À titre de coordonnatrice de la maitrise et du doctorat en biologie, son rôle est notamment de recruter de nouveaux étudiants, un pari qui n’est pas gagné d’avance à l’heure actuelle. Mery Martínez garde tout de même espoir : «Le programme est excellent. Les chercheurs sont excellents, de haut calibre. On verra combien de gens seront au rendez-vous.»
Au travers des incertitudes liées à la pandémie, certaines histoires ressortent comme autant de bouffées d’air et d’espoir. C’est notamment le cas de nombreux francophones qui ont choisi le Canada comme terre d’accueil, il y a de cela quelques mois ou des années. Francopresse vous présente quelques-unes de leurs histoires d’immigration, un clin d’œil à la vie qui continue même quand tout le reste s’arrête.