le Vendredi 26 avril 2024

Alors que le Campus Saint-Jean propose neuf programmes de 1er cycle et un nombre limité de places, plusieurs étudiants se tournent vers d’autres établissements d’enseignement pour entreprendre leurs études postsecondaires. Certains déménagent ailleurs au Canada pour continuer d’étudier en français, alors que d’autres s’inscrivent dans des universités anglophones pour rester en Alberta. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

La Franco-Albertaine Caroline Magnan, professeure de common law en français dans plusieurs facultés de droit de l’Ouest canadien, souligne que les études universitaires en français sont essentielles pour les francophones et les francophiles.

«Elles peuvent les aider à cimenter leur identité et leur appartenance communautaire dans les milieux minoritaires.» Elles assurent aussi à la communauté une relève en français pour différents domaines tels que l’éducation et la santé.

Caroline Magnan, professeure de Common Law dans plusieurs université de l'Ouest.

Caroline Magnan. «Il faut s’assurer qu’en Alberta, les jeunes puissent avoir accès à la même gamme de cours qu’en anglais.» Crédit : Courtoisie

Toutefois, elle est d’avis que la réalité de sous-financement des établissements postsecondaires ne permet pas de proposer la même panoplie de programmes offerts en anglais ou dans d’autres universités canadiennes.

S’établir ailleurs, un choix parfois difficile

Le Calgarien Simon Gauthier, désormais étudiant au baccalauréat en génie physique à l’Université Laval à Québec, mentionne qu’il a trouvé difficile de faire un tel choix. «J’étais déchiré entre partir et étudier en français ou aller à l’Université de Calgary parce que mes amis et ma blonde restaient à Calgary».

Bien qu’il soit membre de l’équipe de ski de fond du Rouge et Or, l’élite sportive de l’Université Laval, il indique, avec une certaine nostalgie : «J’adore l’offre de plein air et d’aventures des Rocheuses.»

C’est l’obtention de la bourse Schulich Leader de l’Université Laval qui lui a fait choisir la ville de Québec pour y poursuivre ses études. Mais même s’il se trouve à l’est du pays, il reste impliqué dans la francophonie albertaine. Il est d’ailleurs le président de la prochaine édition du Parlement Jeunesse de l’Alberta qui aura lieu du 28 avril au 1er mai 2022.

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Quant à Laurissa Brousseau, une Franco-Albertaine originaire de Canmore, elle est inscrite au programme d’études internationales et langues modernes à l’Université d’Ottawa. Ce baccalauréat était son seul et unique choix. «Il me parlait vraiment et je voulais continuer à étudier en français.» Néanmoins, s’il avait été offert dans une université albertaine, elle  serait restée dans la province pour être près de ses proches.

D’ailleurs, après l’obtention de leur baccalauréat, les deux étudiants aimeraient revenir vivre en Alberta, mais ils laissent la porte ouverte à toute autre occasion. Toutefois, lorsque des étudiants quittent la province pour leurs études, Caroline Magnan confirme qu’il se peut fort bien qu’ils ne reviennent pas.

Elle souligne qu’il ne faut néanmoins pas sous-estimer l’importance des liens familiaux. «J’ai moi-même étudié au Québec et en Ontario et je suis revenue m’installer en Alberta.» Son mari et elle ont voulu se rapprocher de leurs familles et plusieurs possibilités d’emplois s’offraient à eux.

Étudier dans le système anglophone 

Pour les jeunes qui poursuivent leurs études en anglais, «ils doivent faire une place au français dans leur vie pour le garder présent», souligne Mireille Péloquin, directrice générale de la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA). Elle insiste sur la place et le rôle de leur engagement dans la francophonie ainsi que sur les relations qu’ils peuvent bâtir avec leurs amis et leurs proches. Ils joueront, selon elle, un grand rôle dans la préservation de la langue française.

Mireille Péloquin. Directrice FPFA

Mireille Péloquin indique que dans les milieux minoritaires, c’est difficile de faire une place au français. Crédit : Gabrielle Beaupré

De 2011 à 2017, Paul Cournoyer, musicien et coordonnateur de projets au Centre de développement musical (CDM), a étudié à l’Université MacEwan, à Edmonton, pour obtenir un baccalauréat en musique contemporaine avec une majeure en composition. Ce choix de programme répondait à ses besoins pour sa carrière musicale.

Pendant ce cursus, il a continué d’être actif dans le secteur de la musique francophone. Il a participé à Polyfonik, au Chant’Ouest et au Festival international de la chanson de Granby. Il  explique en partie son choix ainsi : «Pour moi, la culture francophone ne se définit pas seulement à la porte de l’école. Elle peut être présente dans différentes sphères de ma vie».

«Pour moi, la culture francophone ne se définit pas seulement à la porte de l’école. Elle peut être présente dans différentes sphères de ma vie». Paul Cournoyer

Du côté d’Océane Fontaine, elle entamera des études autochtones à l’Université de l’Alberta en septembre prochain. Toutefois, certains cours seront offerts dans la langue de Molière au Campus Saint-Jean. Pour elle, cela représente une belle occasion d’aller «apprendre en français».

Parallèlement, elle continuera à s’impliquer dans la communauté francophone et à s’exprimer en français avec son entourage et ses proches. «Avec mon père, j’ai toujours parlé français.»

Mireille Péloquin, pour conclure, alerte et évoque que si les étudiants ne portent pas attention à leur francophonie pendant leurs études universitaires en anglais, «c’est la pente glissante!» Ces jeunes risquent alors de vivre une certaine insécurité linguistique.

L’Association bilingue des municipalités de l’Alberta (ABMA) compte désormais les comtés de Birch Hills et de Saint-Paul parmi ses membres. Elisa Brosseau, sa présidente, se dit très contente de voir que l’Association s’agrandit. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

Elisa Brosseau, également mairesse de Bonnyville, explique que l’ABMA est une initiative municipale créée en novembre 2010. Elle regroupe les villes qui reconnaissent «les avantages économiques du bilinguisme» dans différents secteurs d’activité tels que le tourisme et l’emploi.

Mme Brosseau rappelle que les routes touristiques bilingues situées au nord de l’Alberta sont une initiative de l’ABMA. Maintenant, l’Association travaille sur un projet d’affichage bilingue à Plamondon et dans le comté de Lac La Biche.

Elisa Brosseau. Présidente de l'ABMA et mairesse de Bonnyville.

Elisa Brosseau, présidente de l’Association bilingue des municipalités de l’Alberta. Crédit : Courtoisie

À ses nouveaux membres, l’ABMA offre un «accès à des services gratuits pour traduire jusqu’à un maximum de cinq pages sur leur site web». Cela permet ainsi aux touristes et aux futurs résidents de connaître les municipalités qui accordent de l’importance au bilinguisme.

Soutenir la francophonie 

Le comté de Birch Hills n’a pas de conseillers qui s’expriment en français dans le conseil de ville. Néanmoins, en septembre 2021, ils sont approchés par l’ABMA pour connaître leur intérêt à y devenir membre.

Conscient qu’une partie de la population parle français, Gerald Manzulenko, l’administrateur du comté de Birch Hills, mentionne qu’il était important pour les membres du conseil de ville de soutenir leurs résidents francophones. Il estime qu’il faut reconnaître leur culture ainsi que leur patrimoine.

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D’ailleurs, selon les plus récentes données de Statistique Canada, le comté de Birch Hills, qui avait une population de 1 553 habitants en 2016, comptait 135 résidents bilingues et 10 qui ne parlaient que français.

En devenant membre de l’ABMA, «cela permettra de promouvoir le tourisme dans le comté de Birch Hills et dans l’ensemble de la région», indique M. Manzulenko. En collaborant avec leurs résidents et les entreprises francophones, les membres du conseil de ville aimeraient que le comté ait un ancrage dans la francophonie albertaine.

«Cela permettra de promouvoir le tourisme dans le comté de Birch Hills et dans l’ensemble de la région.» M. Manzulenko

Accroître le réseautage

Quant au comté de Saint-Paul, Sheila Kitz, la cheffe des services municipaux, indique que c’est Linda Sallstrom, la nouvelle responsable du développement économique, qui a présenté au conseil de ville l’idée que le Comté devienne membre de l’ABMA.

«Nous voulons améliorer l’offre d’emploi bilingue dans la région, puisque nous avons beaucoup de francophones», souligne Sheila Kitz. En effet, selon les plus récentes données de Statistique Canada, sur une population de 5 728 habitants, 1 055 parlaient les deux langues officielles et 10 personnes ne s’exprimaient qu’en français en 2016. Des données qui seront actualisées au cours de cette année à la suite du recensement de 2021.

Sheila Kitz, la cheffe des services municipaux du comté de Saint-Paul.

Sheila Kitz, la cheffe des services municipaux du comté de Saint-Paul. Crédit : Courtoisie

Adhérer à l’ABMA est «une occasion d’accroître le développement économique de notre communauté en établissant éventuellement un partenariat avec la ville de Saint-Paul, qui est déjà membre». Le Comté veut, entre autres, mettre l’accent sur le réseautage et créer plus de connexions avec les autres municipalités.

«Nous voulons améliorer l’offre d’emploi bilingue dans la région, puisque nous avons beaucoup de francophones.» Sheila Kitz

Par ailleurs, Elisa Brosseau rapporte que l’ABMA travaille en amont avec le gouvernement provincial afin de promouvoir l’importance du bilinguisme dans les municipalités, en plus de continuer à recruter de nouveaux membres.

L’Association bilingue des municipalités de l’Alberta compte 20 membres

Ville de Beaumont, District municipal de Bonnyville, Ville de Bonnyville, Village de Donnelly, Ville de Grande Prairies, Village de Girouxville, Ville de Falher, Comté de Lac La Biche, Ville de Legal, Municipalité de Morinville, Municipalité de McLennan, Comté de Northern Sunrise, Hameau de Plamondon, Municipalité de Saint-Paul, Comté de Smoky Lake, Municipalité de Smoky Lake, District municipal de Smoky River, Comté de Birch Hills et de Saint-Paul.

L’école anglophone semble alléchante pour les familles francophones qui désirent que leurs enfants apprennent l’anglais. Néanmoins, pour celles qui ont des enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux, ce choix peut leur causer certaines difficultés lorsqu’il est temps d’obtenir de l’aide spécialisée. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

En 2020, le conjoint de Mélina Roy, un membre des Forces armées canadiennes, est transféré sur la base de soutien de la 3e Division du Canada. Avec leurs quatre enfants, ils s’installent donc à Edmonton.

Pour la scolarité de leurs enfants, l’école anglophone semble la meilleure option. «On veut leur donner la chance de pouvoir étudier en anglais afin qu’ils puissent apprendre leur deuxième langue sur les bancs d’école.» Toutefois, en y inscrivant leurs enfants, le couple affronte des difficultés pour leur puîné.

Ce dernier souffre d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). En commodité, il présente une dyslexie, une dysorthographie, des difficultés langagières et une mémoire à court terme. «Si je lui dis non, il vient me voir deux minutes après. Il ne se souvient pas de ce qu’il vient de me demander.»

Cette situation est très difficile pour Mme Roy. «Il a beaucoup de difficultés à se faire des amis. Il est très solitaire. Il y a beaucoup de personnes qui le rejettent. Ce n’est pas vraiment facile sur le cœur d’une mère.»

«Il a beaucoup de difficultés à se faire des amis. Il est très solitaire. Il y a beaucoup de personnes qui le rejettent. Ce n’est pas vraiment facile sur le cœur d’une mère.» Mélina Roy

Le diagnostic a été posé en 2018 au Québec par un neuropsychologue. Ce dernier est un expert des relations entre le cerveau et le comportement. D’ailleurs, il évalue les fonctions cognitives du cerveau, c’est-à-dire «tous les processus mentaux que l’humain va utiliser pour interagir avec son environnement comme apprendre, comprendre, raisonner, mémoriser et parler», explique Élisabeth Perreau-Linck, neuropsychologue de formation et vice-présidente aux communications de l’Association québécoise des neuropsychologues du Québec (AQNP).

Les difficultés du français

Parce qu’il a été rédigé en français seulement, le rapport de confirmation diagnostique pose problème pour le personnel de l’école fréquentée par le fils de Mme Roy. En effet, aucun employé scolaire n’est familiarisé avec la langue de Molière, alors personne n’est en mesure de comprendre le diagnostic du jeune garçon. Actuellement, ses besoins ne sont pas ciblés et il n’a pas accès à des services spécialisés comme ceux d’un orthophoniste.

Compte tenu de la situation, Mélina Roy doit recommencer la démarche auprès d’un neuropsychologue afin que ce dernier refasse un diagnostic à son garçon et écrive un rapport en anglais. Dans le meilleur des mondes, elle aimerait rencontrer un neuropsychologue bilingue. Toutefois, la pédiatre Dre Isabelle Chapados confirme qu’il n’y en a aucun qui est capable de s’exprimer en français.

Les surprises de la langue

Pour évaluer les troubles cognitifs, le neuropsychologue peut utiliser une panoplie de test. Élisabeth Perreau-Linck explique que le choix du test sera en fonction des processus mentaux que l’expert veut évaluer. Les enfants, en raison de leur bas âge, sont fréquemment soumis à des tests d’intelligence afin d’évaluer leur quotient intellectuel.

Certains tests peuvent se faire avec un papier et un crayon. «L’enfant a des consignes à respecter et il doit, par exemple, encercler tous les symboles précis qu’on lui donne à chercher», mentionne la neuropsychologue.

D’autres demandent l’utilisation du langage. Mme Perreau-Linck souligne que si l’enfant fait le test dans une langue qu’il ne maîtrise pas, les résultats peuvent être biaisés en raison d’un manque de compréhension et de fluidité.

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Élisabeth Perreau-Linck nuance que pour l’enfant bilingue, c’est mieux qu’ils réalisent ce test dans la langue dans laquelle ils sont instruits plutôt que celle parlée à la maison. En effet, ces tests sont un peu similaires aux activités reliées à l’apprentissage de l’enfant dans les salles de classe.

«Les interprétations des résultats peuvent être nuancées en fonction de la langue de scolarisation de l’enfant, son niveau d’aisance dans la langue qui est utilisée pour l’évaluation, même si ce n’est pas sa langue maternelle», rassure-t-elle.

Et dans les écoles francophones?

Au Conseil scolaire Centre-Nord, Gisèle Bourque, la directrice générale adjointe, indique que les parents peuvent leur soumettre des rapports médicaux et les dossiers scolaires de leurs enfants dans les deux langues officielles puisque les employés sont bilingues.

Toutefois, pour les enfants provenant du Québec, elle indique qu’il est préférable que ce soit les parents, et non l’école, qui fournissent les dossiers. Par rapport aux autres provinces, «c’est très difficile d’obtenir du Québec les dossiers des enfants». Elle conseille aux parents arrivant du Québec de leur soumettre ces dossiers «quelques mois en avance afin qu’on puisse l’étudier et être prêt lorsque l’enfant arrivera».

Pour certains citoyens, la police engendre de la méfiance. Néanmoins, le Service de police d’Edmonton (EPS) travaille pour contrer cette perception négative. Il sensibilise notamment son personnel à la question du racisme et crée des liens avec les communautés afin d’écouter leurs préoccupations. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

Patrick Ruzage, sergent de la section des relations communautaires du Service de police d’Edmonton, confirme que la perception du service de police de la capitale albertaine par les membres de la communauté noire se trouve souvent biaisée.

Le sergent ayant des origines rwandaises explique que les immigrants africains ont tendance à se méfier de la police. «En Afrique, la police les traite différemment.»

Luketa M’Pindou, directeur général de l’AJFAS

Luketa M’Pindou, directeur général de l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society (AJFAS). Crédit : Courtoisie

Luketa M’Pindou, le directeur général de l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society (AJFAS), ajoute que les policiers du continent africain peuvent notamment arrêter quiconque sans motifs valables. Ce n’est pas le cas à Edmonton. L’intégrité, le respect et les communautés font partie intégrante des valeurs de l’organisation.

Néanmoins, le service de police n’est pas parfait. «Comme toute institution systémique, il a un long chemin à parcourir avant d’être libéré du racisme et des problèmes qui ont conduit aux manifestations du mouvement Black Lives Matter», souligne Erick Ambtman, le vice-président de la Commission de police d’Edmonton.

Des mesures mises en place

Avant les manifestations du mouvement Black Lives Matter, les policiers avaient tendance à employer fréquemment les interpellations aléatoires. Cette pratique consiste à aborder un citoyen au hasard pour lui demander sa carte d’identité.

Erick Ambtman, vice-président de la Commission de la police. «Il est important pour le Service de police d’Edmonton que ses membres représentent les diverses communautés d’Edmonton».

Erick Ambtman, vice-président de la Commission de la police. «Il est important pour le Service de police d’Edmonton que ses membres représentent les diverses communautés d’Edmonton». Crédit : Gabrielle Beaupré

Bien que ce type d’interpellation soit toujours en vigueur, les policiers ont réduit son utilisation. «Nos préjugés naturels nous conduisent à identifier certaines personnes telles que les membres de la communauté noire. Ce jugement peut être biaisé», explique Erick Ambtman. Afin de les aider à identifier et d’atténuer leurs préjugés dans leurs décisions, des formations sont imposées à tous les policiers.

C’est d’ailleurs la section des relations communautaires d’EPS qui s’occupe de la formation de ses membres. Patrick Ruzage témoigne que les policiers sont continuellement en formation afin de les sensibiliser aux différentes cultures et d’élargir leur perspective vis-à-vis des diverses communautés d’Edmonton.

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Parallèlement, afin que l’organisation policière ait une vue d’ensemble des préjugés de ses membres envers les différentes communautés, Erick Ambtman relate qu’elle a commencé à collecter des données basées sur la race des individus. «Arrêtent-ils plus d’hommes noirs que d’autres groupes? Les personnes noires sont-elles plus représentées dans le nombre d’arrestations?»

Des collaborations avec la communauté noire

À la suite du meurtre de George Floyd, le conseil municipal d’Edmonton a tenu des audiences publiques en juin 2020 afin de connaître la perception de ses citoyens concernant leur relation avec la police. Celles-ci ont exposé le fait qu’une partie de la population, telle que les personnes marginalisées, ne s’est jamais sentie entendue ni protégée par le corps policier.

Voiture de police

Les policiers sont au service de la population d’Edmonton. Crédit : Gabrielle Beaupré

Afin de tisser des liens avec ce segment de la communauté, le chef de police Dale McFee crée le Chief’s Community Council. Ce comité communautaire est composé notamment de responsables des différentes communautés africaines, de membres du service de police, de personnes marginalisées et de victimes de racisme.

«Le service policier est conscient qu’Edmonton est une ville diversifiée et multiculturelle», note Luketa M’Pindou. Il trouve d’ailleurs très positif que le corps policier ait entamé des démarches pour écouter les diverses communautés de la ville afin de trouver des moyens pour collaborer avec elles.

«Le service policier est conscient qu’Edmonton est une ville diversifiée et multiculturelle.» Luketa M’Pindou

Il souligne également la présence du service de police dans les activités de l’AJFAS. Par exemple, lors du camp Enfants et Leadership en Action, des policiers participent à des activités sportives et animent des ateliers de sensibilisation sur leur profession. «Nous travaillons pour briser les préjugés négatifs entre les deux groupes pour promouvoir la paix, l’harmonie et la solidarité.» Le directeur général de l’organisme affirme que ce travail de sensibilisation et d’éducation doit être répété en continu.

«Nous travaillons pour briser les préjugés négatifs entre les deux groupes pour promouvoir la paix, l’harmonie et la solidarité.» Luketa M’Pindou

Toutefois, Luketa M’Pindou a parfois l’impression que la communauté francophone est oubliée. Selon lui, il n’y a pas assez de francophones dans les services de police en Alberta. Ainsi, il est plus difficile de se faire entendre. «J’encourage nos jeunes francophones qui s’intéressent à la profession à s’enrôler dans le corps policier.»

D’ailleurs, Patrice Ruzage et Erick Ambtman unissent leur voix pour dire que tout citoyen qui s’intéresse à joindre le Service de police d’Edmonton est le bienvenu. «Nous voulons un service de police plus diversifié et représentatif de la population d’Edmonton afin de réduire les incidents de racisme systémique dans le service», déclare le vice-président de la Commission de la police.

Black Lives Matter ou «La vie des Noirs compte» est un mouvement politique né en 2013 aux États-Unis dans la communauté afro-américaine militant contre ce qu’ils appellent le racisme systémique envers les Noirs.

Les manifestations du mouvement Black Lives Matter ont débuté le 31 mai 2020 suite au décès violent de George Floyd. Cet Afro-Américain est mort à la suite de son interpellation par plusieurs policiers le 25 mai 2020 à Minneapolis, au Minnesota.

Alors que certains organismes rejoignent toutes les populations francophones, d’autres ont encore des difficultés à se faire connaître. C’est notamment le cas du Centre d’appui familial de Calgary et sa directrice générale, Mouna Gasmi, qui aimerait rejoindre plus facilement la communauté noire de Calgary et ses environs. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

À ce jour, 30 familles de la communauté noire fréquentent l’organisme sans but lucratif, la majorité de ses clients étant d’autres francophones. «Des Canadiens d’origine blanche, des Français et des francophones de l’Afrique du Nord», indique Mouna Gasmi, qui est tunisienne de naissance.

Elle insiste d’ailleurs sur la vocation inclusive du Centre d’appui familial et espère y attirer plus de diversité. L’axe principal du plan stratégique 2021-2024 de l’organisme est d’attirer «plusieurs communautés francophones et ramener plus de diversité au Centre d’appui familial».

«On veut aider [notamment les membres de la communauté noire] à travers nos ateliers, les soutenir dans leur bien-être, entendre leurs expériences de vie et les partager avec les autres», souligne-t-elle.

Le Centre d’appui familial offre d’ailleurs une programmation diversifiée afin de répondre aux besoins de toutes les familles qui ont en commun la langue française, et ce, peu importe leur culture. «Nos services sont inclusifs, ils sont adaptés à tout le monde et ils sont variés.»

Mouna Gasmi est néanmoins consciente que la pandémie n’a pas aidé à créer des liens. Depuis près de deux ans, la plupart de leurs activités sont offertes en mode virtuel. La population est peut-être moins réceptive. Cependant, la directrice générale du Centre continue à mettre les efforts pour réussir à rejoindre la communauté noire.

Le choix d’un organisme passe par l’identité 

Mouna Gasmi profite de l’occasion pour «inviter toutes les familles francophones dans toutes leurs diversités» à participer à la Fête de la famille le vendredi 25 février prochain. Pour une dernière fois, elle l’espère, cet évènement aura lieu en ligne. Il est d’ailleurs organisé en partenariat avec le Portail de l’Immigrant Association (PIA) et 120 personnes y sont attendues.

«Inviter toutes les familles francophones dans toutes leurs diversités.» Mouna Gasmi

Evelyne Kemajou, la directrice générale du PIA et originaire du Cameroun, est heureuse de pouvoir participer à cet évènement. Consciente des difficultés de certains organismes à rejoindre la communauté noire, elle le dit elle-même, «ce n’est pas notre cas.»

En effet, si le PIA est une des portes d’accueil de la francophonie pour les nouveaux arrivants à Calgary, sa clientèle se compose d’immigrants issus d’un grand nombre de communautés africaines. Elle remarque aussi que «presque tous les employés sont membres de la communauté noire, alors c’est beaucoup plus facile [pour cette même communauté] de s’identifier à nous». Une présence de la communauté noire qui manque au Centre d’appui familial malgré une grande diversité de ses membres.

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Deux jeunes célèbrent la communauté noire grâce aux médias sociaux

Giscard Kodiane, le directeur de l’ACFA régionale d’Edmonton, explique que c’est beaucoup plus facile pour une personne d’une même culture de s’identifier à un pair. Cet Ivoirien d’origine en est persuadé. «Il connaît sa réalité, a un parcours similaire, a vécu les mêmes difficultés, alors il sera plus apte à aller vers cette personne et à communiquer avec elle.» Il ajoute «qu’il est important que les communautés africaines puissent participer à des activités d’organismes dans leur communauté d’accueil.»

Natif de la République démocratique du Congo, Robert Suraki Watum, coordonnateur des relations publiques de l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society (AJFAS), enchérit : «Les Noirs ont tendance à aller vers les Noirs et les Blancs vers les Blancs» en raison de leur façon de communiquer. «Ce n’est pas la même mentalité ici qu’en Afrique!»

«Les Noirs ont tendance à aller vers les Noirs et les Blancs vers les Blancs.» Robert Sukari Watum

Cogner aux portes des communautés noires francophones

Bien que plusieurs organismes s’ouvrent à la diversité, leurs démarches peuvent être inconnues pour les membres de la communauté noire. «Il y a beaucoup de familles qui ne connaissent même pas leur existence», souligne Robert Suraki Watum.

Alors, pour les rejoindre, l’une des pistes explorées pourrait être le rapprochement de ces organismes francophones avec certaines communautés ciblées. Il souligne la nécessité de communiquer avec les différents responsables des communautés africaines telles que l’Association camerounaise canadienne de Calgary ou la communauté congolaise de Calgary. Une piste qui peut être appliquée à toute la province, pas uniquement dans les grandes villes, mais aussi en région.

Robert Suraki Watum croit qu’en créant des ponts avec ces associations, les organismes auront plus de chance de se faire connaître et ainsi rejoindre des nouveaux membres qui voudront participer à leurs activités.

Des ateliers pour tous au Centre d’appui familial du sud de l’Alberta

Le Centre d’appui familial offre des ateliers de soutien à la parentalité, des cours prénataux pour les futurs parents, un club d’improvisation pour les 12 à 18 ans et des ateliers pour épauler les adolescents dans leurs croissances personnelles.

Le 1er juillet prochain, Jason Carey prendra la relève de Pierre-Yves Mocquais à titre de doyen du Campus Saint-Jean. Il entamera un mandat de cinq ans. Il compte «bâtir» sur le travail de son prédécesseur tout en apportant sa touche personnelle.

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

Devenir doyen du Campus Saint-Jean est pour Jason Carey la meilleure façon de contribuer à la francophonie albertaine. De parents gaspésiens, il est très fier d’être francophone et a toujours eu le désir de porter la langue française en milieu minoritaire. «Je me suis toujours dit qu’un jour, j’allais y participer en tant qu’administrateur académique.» Conscient de l’importance d’un tel engagement, il a dû acquérir des compétences afin d’être bien outillé lorsque l’occasion allait se présenter.

Dès son arrivée en Alberta en janvier 2004, le natif d’Ottawa commence à forger ses armes à la Faculté de génie de l’Université de l’Alberta. Il y endosse diverses fonctions comme celles de professeur et de vice-doyen, en plus de prendre part à des expériences de partenariat et de collaboration qu’il aimerait reproduire au Campus Saint-Jean.

«Je crois que le succès du Campus doit se faire à travers les partenariats comme avec d’autres institutions postsecondaires et de recherches.» D’ailleurs, le futur doyen croit en la nécessité d’en créer davantage à l’échelle internationale. Cela permettrait au Campus Saint-Jean de renforcer sa réputation au-delà des frontières et de «démontrer la valeur des excellents finissants».

«Je crois que le succès du Campus doit se faire à travers les partenariats comme avec d’autres institutions postsecondaires et de recherches.» Jason Carey

Un travail d’équipe

Avant son entrée en fonction, Jason Carey travaillera en retrait afin de permettre au doyen actuel de terminer son deuxième mandat en toute quiétude. Il prendra aussi connaissance de tous les dossiers pour bien comprendre la situation du Campus et rencontrera également ses membres et la communauté franco-albertaine. Tout comme son prédécesseur, Pierre-Yves Mocquais, il les écoutera et leur donnera la parole.

D’ailleurs, pour définir les priorités du Campus, M. Carey veut notamment faire appel aux étudiants et aux employés. Pour avoir la même vision de l’avenir et avoir les yeux rivés sur le long terme, il souligne que «c’est important de développer des priorités et des stratégies ensemble».

«C’est important de développer des priorités et des stratégies ensemble.» Jason Carey

Celles-ci seront notamment axées sur l’environnement d’apprentissage des étudiants, les conditions de travail du personnel et le rôle de l’établissement postsecondaire pour les communautés francophones albertaines, dans l’Ouest, au Canada et à l’international.

Toutefois, M. Carey affirme que le bien-être des étudiants sera sa priorité numéro un, comme ce fut le cas pour son prédécesseur. «Je veux répondre à leurs besoins, avoir une bonne relation avec eux et les voir participer au système de gouvernance.»

D’ailleurs, Sithara Naidoo, la vice-présidente interne de l’Association des Universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ), confirme que Pierre-Yves Mocquais «était connecté avec les étudiants et qu’il avait leur intérêt à cœur».

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Pour ce qui est de la poursuite judiciaire entamée par l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) contre le gouvernement provincial et l’Université de l’Alberta concernant le financement précaire du Campus, le futur doyen ne peut pas la commenter. Néanmoins, il ne se dit pas inquiet pour l’avenir du seul établissement postsecondaire francophone de l’Ouest canadien.

En se basant sur ses 18 années d’expérience à l’Université de l’Alberta, Jason Carey croit que le Campus Saint-Jean joue un rôle très important pour l’administration centrale. «Il fait partie de leur plan stratégique pour desservir la communauté albertaine.»

Une nouvelle perspective

Sheila Risbud, la présidente de l’ACFA, et Sithara Naidoo se disent enthousiastes de l’arrivée prochaine de Jason Carey. Pour la vice-présidente interne de l’AUFSJ, la nomination de Jason Carey amène un vent de fraicheur. «C’est une belle occasion d’évaluer certaines priorités.» Elle pense que le futur doyen apportera une autre perspective dans les dossiers et qu’il aura de nouvelles idées.

Quant à Sheila Risbud, elle a remarqué sa présence lors du Forum citoyen de l’Ouest sur l’éducation postsecondaire en français en milieu minoritaire. «J’ai trouvé ça encourageant de le voir y participer. Même s’il n’est pas encore en poste, ça montre qu’il est intéressé par le dossier et qu’il prend la peine de s’informer.»

Sheila Risbud. Présidente ACFA

Sheila Risbud. «On a hâte de travailler avec Jason Carey pour faire avancer le dossier de la poursuite judiciaire du Campus Saint-Jean.» Crédit : ACFA

Les membres de l’AUFSJ comme ceux de l’ACFA ont beaucoup d’espoir pour leurs prochaines rencontres avec Jason Carey. Une belle collaboration semble se mettre en place pour les prochaines années.

Avez-vous écouté la nouvelle émission de Radio Cité intitulée Mon histoire, mes racines? Ce sont des jeunes de 12 à 30 ans qui en prennent les commandes afin de discuter de leur vécu, sous le regard et l’expérience de Sylvie Boisclair, l’animatrice de Bonjour Edmonton.

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco  

Les lundis à 18 h ou en rediffusion les dimanche à 16 h, vous pouvez écouter l’émission Mon histoire, mes racines sur les ondes de Radio Cité. Durant 120 minutes, et ce, pendant deux semaines consécutives, vous entrerez dans l’univers de deux jeunes de la communauté francophone. Puis, un nouveau binôme prend le flambeau.

Durant la première heure, les intervenants parlent de leurs origines et dans la seconde, de qui ils sont. «Qui sont-ils en tant que personne», mentionne Sylvie Boisclair, la coordonnatrice du projet. Il en va de leurs préoccupations, de leurs défis, de leurs passions.

Sylvie Boisclair. Animatrice Radio-Cité

Sylvie Boisclair espère donner aux participants le goût de devenir la relève radiophonique de demain. Crédit : Gabrielle Beaupré

Medina Diabate, jeune activiste âgée de 12 ans et membre de la communauté noire, a profité de cette tribune pour parler du mouvement Black Lives Matter. «C’est important pour moi parce que le racisme pourrait m’affecter un jour et […] mes parents, ma famille et mes amis.»

«C’est important pour moi parce que le racisme pourrait m’affecter un jour et […] mes parents, ma famille et mes amis.» Medina Diabate

Leur donner de la visibilité

Ce projet a émergé d’un constat émis par le conseil d’administration de Radio Cité, il y a un an et demi. «Les adultes nous connaissent et nous écoutent, mais on a remarqué que les jeunes, malheureusement, ne font pas partie de nos auditeurs», relate Alain Bertrand, le président de la radio communautaire.

Pour remédier à cette situation, le conseil d’administration a voulu leur donner la parole et l’occasion de partager leurs histoires respectives. «Ils ont chacun un vécu et des origines différentes.» Alain Bertrand sait d’ailleurs combien les jeunes n’ont pas souvent l’occasion de parler de leurs histoires à part dans le contexte scolaire.

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L’accent est souvent mis sur les parents par le biais de leur travail et de diverses associations. «On veut leur offrir une chance supplémentaire pour partager leur voix avec la communauté en général.» Un tel projet nécessitant du financement, le conseil d’administration a soumis une demande de subvention à Patrimoine canadien qui leur a été accordée l’automne dernier. Une belle nouvelle pour mettre en valeur Mon histoire, mes racines.

«On veut leur offrir une chance supplémentaire pour partager leur voix avec la communauté en général.» Alain Bertrand

Parallèlement, Sylvie Boisclair trouve que la jeunesse n’est pas assez présente à la radio. «Il n’y a pas un gros roulement. Que ce soit sur n’importe quelles ondes, les places sont occupées pendant des années par les mêmes personnes.» Alors, pour elle, c’est une magnifique occasion de mettre les jeunes en avant-plan.

Avant d’enregistrer l’émission, les participants ont l’occasion de s’immerger dans l’univers de la radio. Ils y découvrent le studio où s’enregistrent les émissions diffusées en direct. Priscilla Dhaussy, une participante, rapporte que sa coéquipière et elle ont appris à insérer de la musique et de la publicité dans les émissions. Un temps leur est aussi imparti pour qu’ils puissent préparer leur émission. «On fait aussi des tests de voix afin de trouver la bonne tonalité.»

Une complicité amicale 

Lorsque Medina Diabate s’est inscrite au projet de Radio Cité, elle l’a fait avec son amie, Hanam Salem. Pendant l’enregistrement, elles se sont rassurées mutuellement. Pour sa première fois derrière un micro, Medina Diabate affirme que si son amie n’avait pas été à proximité, elle aurait été plus stressée. Hanam Salem ajoute qu’elle a adoré son expérience et qu’elle a beaucoup aimé y participer avec sa coéquipière Medina et sa mentore, Sylvie Boisclair.

Médina Diabate et Hanam Salem. Radio-Cité

Medina Diabate (à gauche) et Hanam Salem (à droite). Amies depuis un an, les participantes de l’émission Mon histoire, mes racines se sont soutenues mutuellement lors de l’enregistrement. Crédit : Courtoisie

Priscilla Dhaussy, quant à elle, a un cercle d’amis composé majoritairement d’anglophones. Elle décide tout de même de participer seule à ce projet dès qu’elle a vu l’annonce sur Facebook. Lorsqu’elle a rencontré sa partenaire, une complicité est tout de suite née entre les deux jeunes femmes en raison de leurs nombreux points communs. «Je pense qu’elle va devenir une très bonne amie», sourit Priscilla.

Au moment d’écrire ses lignes, Sylvie Boisclair mentionne que l’émission Mes racines, mon histoire doit se terminer en août. Néanmoins, si d’autres jeunes se montrent intéressés à raconter leur histoire sur les ondes de Radio Cité, elle souhaite poursuivre l’aventure jusqu’en décembre prochain. Les inscriptions sont toujours ouvertes.

Radio-Cité est la radio communautaire d’expression française du Grand Edmonton. Dans la capitale albertaine, elle est diffusée sur la fréquence 97,9 FM. Ses émissions sont également accessibles en direct ou en différé sur son site web.

Pour plus d’information : radiocitefm.ca

Peu importe où il réside en Alberta, lorsqu’un francophone vit en français, il espère vivre aussi sa santé en français. Cependant, s’il a besoin de services de santé dans la province, il n’a pas nécessairement la possibilité de rencontrer un professionnel qui s’exprime dans sa langue maternelle. Il faut alors faire preuve d’ingéniosité.

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

Dans sa pratique médicale, le Dr Quentin Durand-Moreau, spécialiste en médecine du travail et professeur adjoint au département de médecine préventive de l’Université de l’Alberta, explique que les patients ayant besoin d’interprètes viennent souvent avec les membres de leur famille.

Gisèle Lacroix se remémore que sa fille l’a accompagnée à ses rendez-vous médicaux lorsqu’elle avait le cancer, il y a quelques années. Dans la clinique de cancérologie où elle recevait ses traitements, elle a côtoyé des oncologues anglophones. Lorsqu’ils en discutaient avec elle, ces derniers employaient des termes médicaux qu’elle ne comprenait pas.

Pendant cette période, Gisèle Lacroix s’estimait chanceuse de continuer à consulter le médecin qui lui avait diagnostiqué sa maladie. Il lui servait aussi d’interprète puisqu’il était francophone. Elle pouvait entre autres se référer à lui pour savoir si elle avait bien compris les explications de l’oncologue. De plus, les deux praticiens communiquaient ensemble pour, entre autres, s’échanger les résultats.

Néanmoins, dans ces moments de stress et d’émotivité, elle a fait appel à sa fille pour lui servir d’interprète. Bien qu’elle ait eu son soutien lors de ses consultations, Gisèle Lacroix a trouvé la situation stressante. «Un parent ne veut pas toujours partager des informations avec son enfant. À certains moments, je lui ai demandé d’attendre à l’extérieur.»

Discuter au téléphone 

Recourir à des membres de la famille comme interprète médical «n’est pas la bonne pratique puisque l’interprétation médicale est un vrai métier», précise le Dr Quentin Durand-Moreau. L’Alberta offre d’ailleurs un service d’interprétation médicale par le biais de la ligne 811.

«On met le téléphone sur haut-parleur, on appelle au 811 et on précise la langue de l’interprétation.» Dr Durand-Moreau

Kaya Ganeshamoorthy, directrice du service d’interprétation et de traduction de Services de santé Alberta (AHS), confirme que ce sont des professionnels interprètes médicaux qui y travaillent.

Leur formation est «extrêmement rigoureuse et avancée dans le domaine médical. Ils ont notamment des mises en pratique dans différents contextes médicaux». Cependant, il a été impossible pour la rédaction de connaitre le nom de ce programme puisque Mme Ganeshamoorthy n’a pas voulu s’avancer sur le sujet.

Lorsque les médecins l’utilisent dans leur cabinet de consultation, «on met le téléphone sur haut-parleur, on appelle au 811 et on précise la langue de l’interprétation», détaille le Dr Durand-Moreau.

Dr Quentin Durand-Moreau.

Dr Quentin Durand Moreau, spécialiste en médecine du travail et professeur adjoint au département de médecine préventive de l’Université de l’Alberta. Crédit : Courtoisie

Parfois, pendant cette consultation avec l’interprète, il y a des problèmes technologiques. «Ça coupe, on n’entend pas très bien et il faut répéter.» Parce que le patient ne peut pas voir avec qui il parle de sujets sensibles au téléphone, «cela peut générer des problèmes de confiance de la part du patient».

Plus sécuritaire malgré les interférences

Par contre, Kaya Ganeshamoorthy insiste sur le fait que l’usage du service d’interprétation de la province est plus sécuritaire. Faire appel à un membre de la famille ou à un ami «est une pratique qui est extrêmement commune, mais qui est extrêmement dangereuse».

Étant donné que le proche du patient n’est pas nécessairement un spécialiste du domaine médical, il peut omettre d’oublier d’interpréter des renseignements importants du professionnel de la santé. «Le patient prend le risque d’avoir des erreurs dans l’interprétation.»

«Ça coupe, on n’entend pas très bien et il faut répéter.» Dr Durand-Moreau

Elle mentionne également que le proche peut décider de son plein gré de ne pas interpréter les informations données par le professionnel de la santé afin de ne pas affecter le patient.

Et il peut y avoir des problèmes de confidentialité. Rien ne garantit que le proche va garder les informations pour lui. Kaya Ganeshamoorthy affirme que les interprètes de la ligne 811 ne divulguent aucune information. Les conversations restent confidentielles et rien n’est enregistré.

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Par ailleurs, si le patient francophone ne fait pas appel à un interprète lorsqu’il rencontre un médecin anglophone, les conséquences peuvent être désastreuses. Le Dr Quentin Durand Moreau explique que le médecin peut «manquer d’information et faire un mauvais diagnostic». Inversement, le patient peut ne pas bien comprendre le diagnostic, le niveau de la gravité, le traitement et ses directives.

La ligne infosanté de Services de santé Alberta (811) 

Accessible gratuitement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, la ligne info-santé 811 offre un service téléphonique de soins de santé et des services d’interprétation.

Elle permet de «répondre à tous les Albertains souhaitant discuter de leurs problèmes de santé dans leur langue natale», souligne Kaya Ganeshamoorthy,la directrice du service d’interprétation et de traduction de Services de santé Alberta (AHS).

À l’heure actuelle, selon la Société Alzheimer, 49 000 Albertains présentent un trouble neurocognitif. Ce chiffre représente 1 % de la population. Les troubles cognitifs englobent plusieurs types de maladies neurodégénératives et incurables. La plus connue est la maladie d’Alzheimer.

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco 

Avant de recevoir un diagnostic de maladie d’Alzheimer, une personne doit avoir plusieurs signes précurseurs. Entre autres, elle perd tranquillement la mémoire, a de la difficulté à accomplir des tâches familières et quotidiennes, perd des mots de son vocabulaire et est désorientée dans l’espace et le temps.

«Souvent, lorsqu’une personne va consulter un médecin pour l’Alzheimer, elle va commencer à annoter des pertes de mémoire [qui affectent son quotidien]», relate Dre Michelle Dion, médecin de famille. Pour diagnostiquer la maladie, le patient doit se soumettre à une série d’évaluations. En Alberta, ces tests se font dans les deux langues officielles et sont administrés par un médecin, une infirmière ou une infirmière auxiliaire.

«Avant de dire qu’une personne est atteinte d’une démence, il faut exclure tous ses problèmes de santé.» Dre Dion

Le premier élément évalué est l’état de santé de la personne pour s’assurer qu’il n’y a pas «un problème sous-jacent qui pourrait mimer [la maladie d’Alzheimer]». Le spécialiste va également vérifier son historique médical et mental. Un bilan sanguin sera fait. Elle prendra également part à une évaluation cognitive qui permettra de mesurer sa capacité à dessiner des choses simples telles qu’un cube. Pendant celle-ci, des questions concernant sa mémoire et son langage peuvent lui être posées.

«Avant de dire qu’une personne est atteinte d’une démence, il faut exclure tous ses problèmes de santé pour être certain qu’il n’y a pas d’autres maladies adjacentes qui auraient pu [introduire ces signes précurseurs]», souligne Dre Dion.

Lorsque la personne est dans un stade peu avancé de la maladie, Dre Dion affirme que celle-ci peut en ralentir la progression. Elle doit notamment rester active, bien manger, avoir un sommeil équilibré, socialiser, tout en s’occupant de sa santé. «Il faut qu’elle se garde stimulée et que son corps reste en bonne santé.»

Une bataille au quotidien

Nouha Ben Gaied, la directrice recherche et développement, qualité des services de la Société Alzheimer du Québec, précise que les proches aidants de la personne atteinte doivent se préparer à l’ampleur de la maladie. «Au début de la maladie, les symptômes sont modérés. Mais plus elle avancera, plus la personne atteinte aura besoin d’aide, notamment dans ses soins d’hygiène personnelle ou pour l’habillement.»

D’ailleurs, devant l’ampleur de celle-ci, ils doivent s’outiller par le biais de stratégies d’intervention. «Elles vont faire toute la différence auprès de la personne atteinte», explique Mme Ben Gaied.

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Plusieurs de ces stratégies sont, entre autres, liées à la communication. «Le verbal ne représente que 7% de la manière dont on communique. Le reste se passe par le non verbal, c’est-à-dire la posture, l’attitude, le volume et le débit de la voix». De plus, si un interlocuteur veut parler à la personne, il doit le faire en se plaçant devant elle afin de lui permettre de comprendre plus facilement le message. Pour s’exprimer avec elle, il peut également mimer ses propos.

Néanmoins, en raison de la perte de mémoire à court terme de la personne, parfois les stratégies d’intervention vont fonctionner une journée, des fois non. Cependant, Nouha Ben Gaied martèle qu’il faut toujours les réessayer le lendemain.

La langue maternelle, un possible atout contre la maladie

Les études sont nombreuses à démontrer que l’apprentissage et la pratique d’une langue étrangère ont des effets positifs sur la santé cérébrale. Toutefois, dès 2011, la psychologue et chercheuse canadienne Ellen Bialystok a démontré que les personnes bilingues souffrant de la maladie devenaient quatre ans plus tard que des unilingues.

En effet, la personne bilingue atteinte de la maladie d’Alzheimer perdra très rapidement la connaissance d’une langue apprise. «Généralement, sa langue maternelle va reprendre le dessus», explique Nouha Ben Gaied. Une situation qui ne facilite pas forcément le traitement de la maladie lorsque l’on vit dans un milieu minoritaire comme l’Alberta.

«Généralement, sa langue maternelle va reprendre le dessus.» Nouha Ben Gaied

La spécialiste de la maladie affirme d’ailleurs qu’à l’écoute de leur langue maternelle, les personnes atteintes de troubles cognitifs sévères vivent des émotions importantes. Cela leur rappelle des souvenirs d’enfance puisque c’est dans cette langue qu’elles ont été «bercées». Même si leur mémoire à court terme est affectée, «leur mémoire à long terme demeure intacte», mentionne Nouha Ben Gaied.

Plus concrètement, le rôle de la langue est essentiel pour lutter contre la maladie. En effet, le patient risque très rapidement de perdre ses repères et les relations sociales qu’il a pu avoir avec celles et ceux qu’il côtoie dans sa langue d’adoption. Il peut très vite être victime d’isolement.

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On peut dès lors dire qu’une part de la solution dans l’accompagnement de ces patients serait la présence de bénévoles, de proches aidants et de médecins francophones à chaque étape de la maladie.

Pour plus d’information sur la maladie d’Alzheimer, consultez :

https://alzheimer.ca/fr

Afin de bénéficier de soins de longue durée ou d’un logement avec des services de soutien désignés, tout Albertain doit se faire évaluer par Services de santé Alberta (AHS). Par la suite, il est dirigé en fonction des places disponibles. Un processus qui ne prend pas en compte la langue maternelle. 

Gabrielle Beaupré
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

Paul Denis, directeur général du Réseau santé Alberta (RSA) et président de la communauté pour le Centre de santé Saint-Thomas, l’indique très clairement : la priorité numéro un de Services de santé Alberta (AHS) est de «dégager les lits d’hôpital».

Par exemple, «au cours des trois derniers mois, dans tous les hôpitaux de la province, il y a eu en moyenne 386 clients qui attendaient chaque jour d’être placés dans une résidence de soins continus», indique Kristi Bland, conseillère principale en communications de Services de santé Alberta (AHS), zone Edmonton.

Françoise Sigur-Cloutier et sa mère

Françoise Sigur-Cloutier est proche aidante pour sa mère Marguerite. Crédit : Courtoisie

Les personnes âgées doivent en moyenne attendre 32 jours avant d’être placées. Une décision qui, faute de place, ne revient pas complètement à la famille. Paul Denis explique que celle-ci doit choisir en ordre de priorité les établissements dans lesquels ses parents pourraient vivre.

Dès qu’un lit devient disponible, c’est la personne qui se trouve en haut de la liste d’attente qui sera placée. Une situation qui aujourd’hui ne satisfait pas forcément les familles prises dans le dilemme de l’urgence et du premier choix désiré.

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D’ailleurs, le Centre de santé Saint-Thomas (CSST), reconnu pour son offre de services en français à Edmonton, est fréquenté plus régulièrement par des anglophones que par des francophones en raison du nombre élevé d’ainés sur la liste d’attente.

Paul Denis rapporte que présentement, sur les 138 lits disponibles au CSST, seulement une douzaine de lits sont occupés par les francophones.

Des services d’interprétation proposés 

En dépit du manque d’employés francophones dans les résidences de soins de longues durées, Services de santé Alberta (AHS) propose des services d’interprétation. Ceux-ci sont offerts par téléphone, par visioconférence ou en personne.

Kristi Bland accentue que «dans tous les établissements [de la province], les patients et les membres de leur famille dont la maitrise de l’anglais est limitée ou inexistante ou ayant des troubles de la parole, du langage et de l’audition ont le droit fondamental de comprendre pleinement les soins qu’ils reçoivent, d’y consentir et d’y participer».

Leur participation dans les conversations où la santé et le bien-être de la personne âgée sont abordés est un élément essentiel pour AHS afin d’assurer leur sécurité.

L’importance du non verbal 

Cependant, le non verbal entre les préposés aux bénéficiaires et les personnes âgées reste un élément majeur. La médecin de famille Michelle Dion explique qu’il «aide à diminuer le stress de la personne âgée». De plus, l’attention du préposé à l’égard de l’ainé peut faire une grande différence.

Pour donner des soins dans la bienveillance, il faut que les préposées prennent le temps.

«En général, ils ont tendance à être plus doux et attentifs aux besoins du patient.» Toutefois, la médecin admet qu’il y en a aussi qui sont rudes. «Il y en a partout des gens qui n’auraient pas dû choisir leur profession.»

«En général, ils ont tendance à être plus doux et attentifs aux besoins du patient.» Dre Michelle Dion

Françoise Sigur-Cloutier, dont sa mère se trouve actuellement dans une résidence de personnes âgées offrant des soins de longue durée, le confirme. Elle se souvient que les préposés avaient tendance à gagner du temps lorsqu’il mettait les souliers de sa mère.

«Pour ne pas lui défaire les lacets, il lui rentrait le soulier incorrectement dans son pied et ses orteils restaient coincés». Dès qu’elle s’en est rendu compte, elle a acheté à sa mère des souliers de type sandales pour éviter le problème.

«Pour ne pas lui défaire les lacets, il lui rentrait le soulier incorrectement dans son pied et ses orteils restaient coincés.» Françoise Sigur-Cloutier

Malgré le fait que les préposés ne soient pas capables de s’exprimer dans la langue de Molière, Mme Sigur-Cloutier apprécie qu’ils utilisent l’application Google Translation sur leur téléphone cellulaire pour essayer de parler à sa mère.

Par ailleurs, afin de permettre aisément un environnement de bienveillance dans un lieu où aucun préposé n’est capable de s’exprimer en français, la Dre Michelle Dion a peut-être une solution.

Selon la médecin, il faudrait assigner un préposé, si possible toujours le même, à un patient afin de développer une affinité avec lui. «Il pourrait le connaître et ainsi, le comprendre.» Avec le roulement de personnel, elle acquiesce que c’est un peu plus compliqué à faire.

Dans les établissements autonomes pour ainés francophones

Dans les villes rurales, les personnes âgées francophones n’ont pas accès à des résidences francophones puisqu’il n’y a pas d’offres de services. «Si les personnes âgées veulent rester proches de chez eux, ils n’ont pas le choix de déménager dans des accommodations pour ainés anglophones», souligne Natacha Plamondon, directrice de l’ACFA régionale de Plamondon.

Dans les centres urbains comme Edmonton, les personnes âgées ont la possibilité de déménager aux Manoirs Saint-Thomas et Saint-Joachim. Ce sont des immeubles à appartements pour ainés autonomes. L’administrateur de la Société des Manoirs, Roch Labelle, souligne que les deux établissements sont «gérés par des francophones».

Au Manoir Saint-Thomas, la langue parlée est le français puisque tous ses résidents sont d’expression française. Quant au Manoir Saint-Joachim, en raison du nombre restreint de locataires francophones, il accueille également des anglophones et allophones.

Cette situation est similaire à celle de la résidence des indépendants du Centre de santé Saint-Thomas qui accepte autant les francophones que les anglophones. Pour la résidente Yvette Tellier, avoir comme voisin de palier des anglophones ne la dérange pas puisqu’elle veut «vivre une vieillesse tranquille».